Présentation : le témoignage suivant a été présenté lors d’une table-ronde organisée dans le cadre des 5èmes Rencontres d’histoire ouvrière de Saint-Étienne, intitulées Monde ouvrier et religions au XXe siècle (Saint-Étienne, vendredi 19 janvier 2018).
Pour revenir au texte de Jean-Paul Bénetière, cliquez ici.
Pour lire les témoignages d’André Momein ou de Michel Bouteille, cliquez sur le nom de chaque intervenant.
Je suis né il y a très longtemps dans un petit village au nord du département de la Loire, la première ou la dernière commune du département : Saint-Germain-la-Montagne, 500 habitants à l’époque. Mon père était boulanger. Mes parents tenaient l’un des trois bistrots du village et le bureau de tabac. Famille catholique traditionnelle. Très pratiquante… Un jour notre curé a déclaré à mes parents : « Roger sera prêtre. » Le sort en était jeté… et après dix années de séminaire à Charlieu et à Lyon et dix-huit mois de régiment à Versailles, j’ai été ordonné en mai 1956, avec deux mois d’avance sur la date prévue car j’étais menacé d’être rappelé en Algérie… Mais j’ai échappé à ce rappel… En septembre de la même année, ma mère est morte et l’évêque m’a nommé vicaire à Roanne pour être près de mon père et de mes cinq frères et sœur plus jeunes.
Prêtre à Roanne, puis à Lyon-Centre et à Villeurbanne pendant plus de vingt ans, j’ai souvent été aumônier d’équipes JOC et ACO. J’ai organisé des camps de jeunes, des colonies de vacances, des camps scouts, etc… Et en septembre 1967, j’ai été nommé aumônier du Lycée Fauriel à Saint-Étienne. Et c’est là que j’ai vécu, quelques mois après, l’effervescence de mai 68, pour ne pas dire la révolution. J’avais trente-six ans. J’ai participé activement aux manifestations des étudiants, des lycéens et des organisations syndicales dans les rues de Saint-Étienne. La machine à polycopier de l’aumônerie fonctionnait à plein régime pour fabriquer tracts et affiches puisque les murs avaient la parole. Effervescence et liberté de parole aussi chez les jeunes prêtres qui fondent une association baptisée « Échange et dialogue », avec une petite revue au plan national, revue où ils réclamaient le droit d’avoir un travail salarié, un engagement syndical et politique et le droit à vivre dans le mariage…
Alors, quatre ans plus tard, en 1972, prêtre dans le quartier de la Métare, je prends un travail salarié et je me fais embaucher comme chauffeur de bus dans une petite boite de La Ric’[1]. Chargée notamment du transport des derniers mineurs de La Talau’[2] et de Sorbiers vers le dernier puits du Chambon-Feugerolles, puis le puits Pigeot, dernier puits de La Ric’. Travail pénible parce que très peu de temps pour dormir… Couché à vingt-trois heures… et levé à trois heures du matin… Contacts intéressants avec les mineurs d’origine française ou maghrébine. Tous de la même couleur au fond de la mine, disaient-ils ! Dès l’embauche, syndiqué à la CFDT car j’avais déjà de bons contacts notamment avec Marcel Robert et des responsables de l’UD. Mais pas d’action syndicale possible dans une entreprise de quatre salariés : trois chauffeurs et un mécano. Salaire mensuel : 1000 francs net… chiffre facile à retenir ! J’ai tenu le coup presque quatre ans.
En mai 1976, je me marie avec Paulette Lyonnet, militante chrétienne elle aussi, et dans la foulée je suis embauché comme chauffeur toujours à la CFVE[3]… qui profite aussi de moi pour me faire geler l’hiver comme receveur dans la petite cabine à l’arrière du tram, cabine que j’avais baptisée CFDT : cabine frigorifique du tram… Mais le plus souvent j’étais à la voltige sur toutes les lignes de bus et de trolleybus. Et c’est là, à la CFVE, qu’avec deux ou trois camarades nous avons créé une section syndicale CFDT qui a assez vite pris de l’importance avec un journal mensuel, Le Joyeux voltigeur, diffusé les jours de paie…Dans les années 80, nous avons mené plusieurs grèves longues avec nos camarades de la CGT. Et à la fin des années 80, suite aux élections, nous avons obtenu le secrétariat du comité d’entreprise détenu depuis toujours par la CGT. La CFDT a alors été reconnue par une majorité de traminots comme un syndicat sur qui ils pouvaient compter….
Dans le même temps, j’étais aussi engagé au PSU, en contact avec André Garnier et avec Huguette Bouchardeau, et je devenais président du comité de quartier de Montplaisir que j’ai animé pendant quarante ans… Je participais aussi au conseil d’administration du Centre social de Montplaisir que j’ai présidé aussi pendant quatre ou cinq ans. Donc, engagement important dans l’action syndicale, mais aussi dans l’action politique et sociale.
Et tout cela, je crois, en correspondance avec mes convictions chrétiennes demeurées fortes, en écho avec ma foi au Dieu de Jésus-Christ et avec ma volonté de vivre dans l’esprit de son évangile. Mais avec aussi une prise de distance avec l’organisation de l’Église catholique et sa rigidité. Exemple : avant mon mariage j’étais considéré comme « bon à tout », à tout type de ministère, et après le mariage « bon à rien » : destitué de toutes mes anciennes fonctions.
Critique envers l’institution, si bien qu’en 1989, inspirés par une rencontre nationale de Témoignage chrétien sur le thème « Pour une Église du dialogue avec le monde d’aujourd’hui » à Saint-Étienne, nous avons créé avec d’autres amis chrétiens l’association « Croyants en liberté 42 », association qui revendique le droit à l’expression libre de ceux et celles qui refusent l’idée d’une église trop centralisatrice et trop figée sur les doctrines et des règles morales qui ne sont plus signifiantes pour nos contemporains, une Église qui ne donne pas leur juste place aux femmes au niveau des diverses responsabilités.
Aujourd’hui, arrivé largement à l’âge de la retraite, le niveau de l’action militante a baissé, mais la volonté de continuer à travailler à l’humanisation du monde demeure vive toujours, dans l’esprit d’un certain Jésus.
Roger Millet
[1] La Ricamarie.
[2] La Talaudière.
[3] CFVE : Compagnie des chemins de fer à voies étroites, société de transports collectifs de la région stéphanoise.