Témoignage d’André Momein (Rencontres d’histoire ouvrière, 19 janvier 2018)

Présentation : le témoignage suivant a été présenté lors d’une table-ronde organisée dans le cadre des 5èmes Rencontres d’histoire ouvrière de Saint-Étienne, intitulées Monde ouvrier et religions au XXe siècle (Saint-Étienne, vendredi 19 janvier 2018).

Pour revenir au texte de Jean-Paul Bénetière, cliquez ici.

Pour lire les témoignages de Roger Millet ou de Michel Bouteille, cliquez sur le nom de chaque intervenant.

 

Je suis né dans une famille chrétienne pratiquante il y a 69 ans, j’ai un frère de 67 ans.

Mon père était artisan charcutier, un choix imposé par son père malade alors qu’il faisait des études à Claude Fauriel[1].

Il fut élu adjoint au maire en 1947 à 27 ans, il était démocrate-chrétien[2].

Ma mère, fille de mineur, l’aidait au magasin. Je n’étais pas très brillant à l’école, j’ai souffert devant une pédagogie qui ne m’allait pas, On favorisait les bons élèves, bref des choses que je nommerais aujourd’hui des injustices. Les deux dernières années d’école primaire m’ont un peu me réconcilié avec les études grâce à un instituteur plus pédagogue qui avait bien compris que mes aptitudes étaient plus manuelles, qu’il me fallait du concret et des contacts.

J’ai commencé mon apprentissage de charcutier chez mon père, il souhaitait pour moi une autre carrière mais elle ne me convenait pas.

Je travaillais près de 60 heures par semaine. Un après-midi, j’allais au cours de la Chambre des métiers, J’y rencontrais d’autres apprentis, certains dormaient au fond de la classe car ils s’étaient levés à quatre heures du matin et faisaient beaucoup plus d’heures que moi. Le fait de travailler avec mon père va complètement transformer nos relations. C’est bien plus que l’apprentissage professionnel dont je vais bénéficier, je vais avoir une vraie formation politique. En effet, nous écoutions la radio il me commentait les informations. Il n’était pas rare de voir arriver dans le laboratoire ses copains qui étaient un conseiller général, un adjoint au maire de Saint-Étienne ou un sénateur.

Il m’a incité à rejoindre un groupe de la JOC à l’âge de 15 ans, le rassemblement de Paris 67 sera pour moi un révélateur. D’abord par sa préparation : information, collage d’affiches, initiatives pour récupérer de l’argent afin de financer le voyage, relance des copains. La messe du dimanche au Parc des princes a marqué les esprits.

La JOC a été pour moi une vraie école de formation, par ses révisions de vie, le « voir juger agir ». Elle m’a transformé, m’a donné confiance en moi et m’a permis d’avoir un bon équilibre tout au long de ma vie. « Un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde ». Ce slogan résume bien ce qu’était pour nous la JOC.

On nous encourageait à lire, je découvrais l’importance de me former. Nous apprenions à animer des réunions, organiser des camps de vacances, des manifestations et des rassemblements. Les campagnes d’action chaque année nous permettaient de rejoindre les copains, campagne sur notre budget pour apprendre à gérer et faire les bons choix solidaires. Pour rappel, à l’époque, je gagnais 5 francs 95 par mois nourri, logé…. Et aussi une campagne sur la santé avec une revendication : les trois huit (travail, loisir, sommeil).

Par la JOC je découvrais le monde ouvrier, son histoire par des conférences animées par des militants syndicaux ou des économistes, elle nous a donné également une ouverture sur le monde par les Semaines internationales.

Le 2 mai 1968, je suis parti au service militaire ; je suivais les événements à la télévision de l’aumônerie, et rencontrais des étudiants parisiens, copains de Daniel Cohn-Bendit. Arrivé en Allemagne le commandant de compagnie refusa notre demande de participation au pèlerinage militaire à Lourdes. Convocation dans son bureau, intervention de l’aumônier et nous avons fini par y participer à quatre ou cinq. La suite fut dure.

À mon retour du service militaire deux évolutions importantes ont eu lieu.

Le développement des hypermarchés et l’arrivée à Saint-Genest-Lerpt d’une nouvelle couche sociale moyenne et supérieure venant de Saint-Étienne. Alors que les épouses de passementiers et mineurs avaient le temps de faire la cuisine, les jeunes femmes étaient de plus en plus nombreuses à travailler dans des entreprises stéphanoises. En matière d’alimentation, les demandes étaient différentes et nouvelles, mon père avait de grosses difficultés à s’adapter. La situation devenait difficile, le constat rude, il fallait se rendre à l’évidence… il n’y avait pas de travail pour nous deux.

Ensemble nous avons décidé mon départ et je suis rentré en mars 1970 à la charcuterie industrielle de la Coop. J’ai mis six mois pour m’adapter aux nouveaux procédés de fabrication. Par contre je me trouvais vite à l’aise avec mes nouveaux compagnons. J’étais le plus jeune, je rentrais de plein pied dans le monde ouvrier. Pour mon chef, j’avais beaucoup à apprendre, après les vacances j’étais celui qui avait une belle carrière devant lui.

Au mois de décembre 70 nous travaillions 251 heures. Le samedi et dimanche avant Noël nous travaillions toute la journée jusqu’à 20 heures. A cinq heures du matin il n’y a pas de trolleys, il fallait s’organiser, je prenais les copains en voiture.

Au début de l’année, le chef de fabrication nous demanda à tous de travailler le samedi la journée entière, nous serons trois à refuser ; convocation chez le chef de service, mes deux collègues accepteront. Ce même ce jour a lieu un comité fédéral de la JOC où j’ai été appelé à prendre des responsabilités. Après en avoir discuté avec l’aumônier et les copains jocistes j’ai décidé de ne pas aller faire des heures supplémentaires et d’aller à la réunion.

Le lundi matin, dès mon arrivée au travail, convocation chez le chef de service, engueulade et mutation à la réception des camions, fini mon travail de professionnel et la belle carrière promise. J’ai osé dire non. La répression commençait. Ce chef fréquentait assidument l’église ! Deux personnes ont été importantes pour moi, toutes deux déléguées CFDT, elles travaillaient dans les bureaux, elles m’ont vite repéré. Odile ancienne permanente de JOCF et Adèle plus âgée, ancienne résistante, elle a participé à la création de la CFTC puis de la CFDT, elle avait participé à l’ACO. Je peux dire qu’elle a été ma référente syndicale, avec le recul cette militante chrétienne pratiquante a été à l’origine de mes engagements, elle sera également témoin lors de mon mariage.

J’ai refusé d’adhérer à un syndicat car c’est un engagement collectif… un jociste n’adhérait pas seul à un syndicat.

En 1973, suite à un appel des syndicats pour revendiquer la retraite à 60 ans, un copain faisait remarquer que nous allions travailler 51 ans pour arriver à 65 ans. Nous débrayons et allons manifester, pour moi c’était ma première manifestation.

L’arrivée de Guy, 18 ans, jeune de milieu mineur, famille cégétiste proche du PC, habitant à Côte-Chaude, allait changer la donne. Il était très revendicatif et motivé par l’action syndicale. Après réflexion, et avec Michel, nous adhérons ensemble à la CFDT. La CFDT paraissait plus dynamique, plus ouverte aux jeunes avec des réunions de salariés sur site. On pouvait prendre la parole. En mai 1972 j’étais élu délégué du personnel. Guy partait à l’armée mais nous étions reconnus comme militants syndicalistes, nous avions pris nos marques.

1973-74 a été une période d’intenses activités syndicales, dans l’unité syndicale. Lors des journées de grève, deux revendications ont émergé : le retour aux 40 heures et les salaires. Nous avons vécu une grève de trois semaines, ce qui était rare dans les coopératives. Je me retrouvais propulsé par Adèle à la tribune lors des AG. Aux élections suivantes, la CFDT devenait majoritaire.

Je devenais de fait leader de la section, Adèle m’entrainait aux réunions du syndicat de l’alimentation. Pierre Héritier, qui nous soutenait, mettra alors en place le syndicat du « commerce-service ». À sa demande, j’en deviendrai secrétaire. J’y ai rencontré Jeannette Ravachol, Jacques Ion, Jean Nizey et surtout André Garnier. Un peu plus tard Annie Fond nous rejoindra. J’ai bénéficié avec eux d’une solide formation.

Nous démarrions des sections dans le milieu du nettoyage et du gardiennage, des cafeterias, milieu qui n’avaient aucun passé ni histoire syndicale. Nous avons soutenu la création d’une association de chômeurs.

C’est en 1974 que Pierre Héritier m’a sollicité pour participer au bureau de l’UD. À cette période, il y a eu des conflits très durs comme Peugeot et surtout le conflit LIP qui pour moi restera toujours une référence de par leur pratique autogestionnaire.

J’arrêterai la JOC après le rassemblement de l’objectif 74 et, avec une soixantaine de responsables, nous rejoignons tout naturellement l’ACO. Simone et moi en partiront en 1990.

En 1975 j’avais épousé Simone qui était présidente fédérale de la JOCF. Quinze jours après notre mariage, la fédé du « commerce service », dont j’étais membre du bureau national, me demandait d’être permanent à Paris. La section était assez partagée, les membres de l’UD n’étaient pas d’accord du tout. Je resterai à Saint Etienne.

Sur le plan politique : en 1972 j’ai adhéré au PS, j’en démissionnerai en 82.

En 1977 j’étais élu à l’exécutif de l’UD, puis permanent en 1982. Dans cette période Michel Zapata était secrétaire général. Je lui succéderai en 1984. Je participais à l’exécutif régional et au Conseil national, avec un court passage au BN. Au congrès régional de Chambéry, j’ai été battu sur le rapport d’orientation, j’ai démissionné du BN le lendemain.

En 85-86 j’ai vécu un conflit très difficile dans l’UD[3]. La pire période de mon parcours syndical. Nous avons gagné le congrès de l’UD. J’avais annoncé, avant le congrès, que je laissais ma place de secrétaire général pour ressouder l’UD. En 1990 je suis parti et j’ai réussi le concours d’entrée à l’ANPE. En 2000 la confédération a signé sans débat l’accord PARE UNEDIC. Il réduisait entre autres le revenu des chômeurs. La section régionale et 90% des adhérents ont alors quitté la CFDT et nous avons rejoint la FSU. Je me suis investi dans la création du SNU. Je serais élu au bureau national jusqu’à mon départ en retraite. Noël Dauce, secrétaire national me proposa alors de créer un syndicat des retraités en me disant : « quand on est militant, on continue à l’être tout en étant retraité… »

Lors de la création de Pôle Emploi, la direction a refusé de participer au financement de la mutuelle pour les retraités ; devant le coût trop élevé de la cotisation proposée, nous avons décidé de créer une association mutualiste pour les retraités de Pôle Emploi, des services de l’emploi, ouverte aux salariés licenciés en fin de contrat temporaire. J’en suis l’actuel président.

Sur le plan chrétien… Ma foi a évolué avec le temps, mais surtout avec les événements comme par exemple « l’affaire Gaillot ».

En 1993 à l’ANPE, j’avais fait le choix de travailler à l’insertion professionnelle des RMIstes. Responsable de la Mission ouvrière et des prêtres ouvriers, Henri Sabot, que je rencontrais souvent, m’a sollicité pour participer au conseil pastoral auprès de l’évêque de Saint-Étienne. L’objectif était de travailler sur les questions de pauvreté et de solidarité. J’ai participé à la création de l’antenne de solidarité. Pendant cinq ans, j’ai vécu une belle expérience.

Puis, le nouvel évêque n’avait pas la même approche ni les mêmes objectifs. La priorité n’était plus la solidarité… mais la catéchèse. J’ai quitté l’antenne de solidarité suite à une réunion où, lors d’un même débat, il a remis en cause ceux qui se référaient à l’analyse marxiste, puis il a développé l’aspect rédempteur et salvateur de la souffrance.

Dans la même période, un cardinal d’Amérique du Sud excommunie avec l’accord du Vatican un couple de parents qui ont fait pratiquer un avortement à leur fille de quinze ans victime d’un viol. Suite à ces événements, j’ai coupé définitivement mes relations avec l’institution car pour moi c’était un retour en arrière…

Je reste croyant dans l’esprit de Vatican II, qui rappelle l’engagement militant, le rôle et la place des croyants. Je ne me considère pas vraiment pratiquant mais je participe parfois aux célébrations.

Par contre je me sens à l’aise dans la théologie de la libération, avec la recherche d’unité entre la vie la transformation de la société et mes convictions de croyant en l’Évangile. Je me retrouve bien dans le message « Aimez-vous les uns les autres » et l’attention aux pauvres.

Je reste un lecteur assidu de Témoignage Chrétien (TC).

Aujourd’hui je pense que ma foi m’a donné une ouverture aux autres, les injustices que j’ai vécues avec les copains m’ont ouvert à l’engagement syndical et politique.

Plut tôt que catho de gauche, je dirais que je suis un chrétien, autogestionnaire, écolo et altermondialiste.

 

André Momein

 

[1] Lycée Claude Fauriel, à Saint-Étienne.

[2] Jean Momein, adjoint au maire de Saint-Genest-Lerpt.

[3] Lire Jean-Paul Bénetière, L’Union départementale de la CFTC-CFDT de la Loire. Mutation, développement et crise d’une organisation syndicale (1944-1988), thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Gilles Richard, Université Rennes 2, 2016, notamment p. 435-436.

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