Alban Graziotin, « Les militant·e·s de l’Action catholique ouvrière et les conflits du travail en région stéphanoise : quelles implications ? (années 1970-1980) », dans GREMMOS (éd.), Monde ouvrier et religions. Actes des 5es Rencontres d’histoire ouvrière de Saint-Étienne, 19 janvier 2018, Saint-Étienne, GREMMOS, 2022 [en ligne].
Version provisoire
Les travaux sur les interactions et interrelations entre milieux chrétiens et ouvriers ont insisté sur un certain nombre de thèmes. En particulier, les chercheurs se sont intéressés aux orientations des organisations se réclamant du mouvement ouvrier chrétien, ainsi qu’aux débats existant entre ces mêmes organisations, notamment quant à la place et au rôle de chacune. Les rapports tant au politique qu’aux masses ont également attiré le regard des historiens et des sociologues[1].
Ces études portent généralement sur des séquences importantes, car charnières : fondation de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Libération, constitution de l’Action catholique ouvrière (ACO), mouvement des prêtres-ouvriers (PO). Les analyses et débats portent essentiellement sur les orientations idéologiques et politiques des différents mouvements, les modalités organisationnelles, les liens avec la hiérarchie, la place et le rôle des laïcs et ecclésiastiques[2]. Les actions concrètes, l’activité quotidienne, l’insertion dans les conflits du travail et le rôle de ces organisations dans ceux-ci, restent bien souvent dans l’ombre[3], même si le terrain est défriché[4].
Ce travail souhaite contribuer à la connaissance de ces aspects pragmatiques, au prisme des conflits du travail. Quelles sont les pratiques de ces ouvrières et ouvriers chrétiens engagés sur le terrain, au quotidien ? Comment inscrivent-ils leurs actions dans les contextes de conflits ? Il s’agit de mesurer l’impact des militantes et militants, leur influence et leur audience au sein d’un territoire donné, afin de mieux comprendre les relations entretenues avec le « milieu de vie ». Cette expression, couramment utilisée par l’ACO, au singulier comme au pluriel, désigne les territoires d’implantations des équipes.
Cet article envisage également les conséquences de cet engagement d’ouvriers chrétiens sur la communauté plus large des chrétiens, possiblement a-classiste car œcuménique. Ces militantes et militants sont engagés au sein de l’ACO. Notre analyse vise ainsi à préciser les contours et les modalités de leur activité en contexte de conflits. Comme le rappelle André Rousseau[5], la vocation de l’ACO n’est pas d’être une organisation militante qui s’engage dans les conflits du travail, à l’image d’un syndicat. Son rôle pendant ces moments de crispations doit toutefois être discuté.
L’insertion de l’ACO dans les conflits du travail et l’activité déployée par ses militants est étudiée à travers le cas de la région stéphanoise durant les années 1974-1985. Les mouvements qui jalonnent cette période sont, pour la majorité, de type défensif, promouvant la défense de l’emploi dans un contexte de crise économique profonde.
Notre propos s’articulera sur trois axes principaux. Il s’agit en premier lieu de décrire l’organisation de l’ACO et son activité quotidienne. L’action concrète des militants lors des conflits du travail, ainsi que leurs relations avec la communauté chrétienne durant ceux-ci, retiendra notre attention. Nous nous intéresserons enfin aux débats internes à ces agencements militants, à travers un exemple significatif des tensions qui peuvent traverser cette organisation durant la « crise catholique[6] ».
I. Repères sur l’ACO en région stéphanoise
Les sources consultées ne permettent pas de proposer une histoire précise de l’implantation des différentes équipes d’ACO dans le bassin stéphanois, ni surtout de leurs militant·e·s. Seules quelques tendances seront esquissées ici.
A. Organisation, audience et géographie
L’ACO Loire-Yssingelais est présente en région stéphanoise depuis la création du mouvement, en 1950-1951[7]. Le découpage géographique alors mis en place, associant l’archidiaconé de Saint-Étienne – futur diocèse en 1971 – et l’archiprêtré d’Yssingeaux (Haute-Loire) – qui dépend du diocèse du Puy-en-Velay – perdure jusqu’à la fin des années 1980.
Un comité diocésain (CD) chapeaute l’organigramme. Il se double, à l’image des syndicats, d’un « bureau diocésain ». Le rôle de ces deux commissions est mis en question au cours des années 1980[8]. Le débat résulte d’une confusion grandissante entre leurs périmètres d’action, dans un contexte socioéconomique imposant des « responsabilités nouvelles » à l’ACO. Cette confusion s’explique également par une composition semblable. Les deux instances réunissent un délégué diocésain – deux à partir des années 1980 –, le délégué de l’ACO au Bureau diocésain de la Mission ouvrière (BDMO), ainsi que différents responsables de secteurs. Au sein du comité diocésain, siègent également l’évêque de Saint-Etienne, le délégué diocésain de la Mission ouvrière (DDMO) – le père Henri Sabot entre 1968 et 1990 – et les aumôniers de secteurs. Avant chaque réunion du comité, Le bureau se réunit, sauf exception, afin de préparer chaque assemblée du comité, organisée selon une périodicité de deux mois environ. Les locaux de l’évêché, à la Maison diocésaine de Saint-Etienne, sont généralement mis à contribution.
À la fin des années 1980, plusieurs commissions sont mises en place, cherchant à couvrir les différents champs d’intervention de l’organisation : « formation », « accompagnateurs JOC », « accueil des jeunes », « militants de l’espoir », « mission ouvrière », « trésorerie », « partages avec les musulmans », etc. Leurs responsables se réunissent ensemble, afin de partager les travaux et orientations de chacune. Dans la droite ligne des « partages » et des « assemblées de travailleurs » mises en place durant les années 1975-1985, ces commissions témoignent d’une volonté de mieux appréhender le vécu ouvrier, et ainsi d’en restituer les différents aspects.
L’organisation repose sur sept « secteurs » géographiques, au cours des décennies 1970-1980 : Saint-Étienne Sud, Saint-Étienne Nord, Saint-Étienne Sud-Est, Ondaine, Gier, Forez, Yssingelais. Chacun est animé par un « comité de secteur », élu par ses adhérents. Les membres des différents comités participent aux réunions du comité diocésain. Ils sont chargés de rédiger des bilans, en fonction d’un ordre du jour programmé à l’avance ou bien dans le cadre d’enquêtes nationales. Ces comités se composent de plusieurs « équipes », dont les logiques d’implantation reposent soit sur des considérations spatiales, soit en fonction des « milieux de vie ». Dans le secteur du Gier, des équipes se retrouvent ainsi au Creux, à Saint-Chamond, un quartier isolé de l’agglomération mais situé à proximité d’une zone industrielle. Une telle inscription territoriale demeure cependant exceptionnelle. Une logique culturelle est également à l’œuvre au cours des années 1980, par exemple à travers la fondation d’une équipe portugaise dans la vallée du Gier. Ces équipes se composent généralement d’une dizaine de personnes, au maximum, réunissant le plus souvent des couples. Cette dimension facilite, au cours des réunions, la réalisation de révisions de vie[9].
À la fin des années 1980[10], l’ACO Loire-Yssingelais présente une structure pérenne et vivante, transcendée par de nombreuses initiatives. Elle n’est cependant pas une organisation de masse. Telle n’est d’ailleurs pas sa vocation. L’ACO s’appuie sur un nombre réduit de militants, ce dont témoignent les effectifs recensés en janvier 1987.
Secteurs | Nombre d’équipes | Nombre de membres | Aumôniers |
Forez | 7 | 50 | ? |
Ondaine | 14 | 90 | 8 |
Saint-Étienne Nord | 12 | 95 | 13 |
Saint-Étienne Sud | 11 | 80 | 8 |
Saint-Étienne Sud-Est | 5 | 37 | 5 |
Vallée du Gier | 13 (dont 1 Portugaise) | 104 (dont 13 Portugais) | 13 |
Yssingelais (Hte-Loire) | 6 | 40 | ? |
Total | 68 | 496 | |
Tableau : Situation de l’ACO Loire-Yssingelais au 25 janvier 1987, document manuscrit |
Afin de remédier à la rareté des forces vives, des « relais » sont institués dès la fin des années 1970. Transcendant les découpages par entreprises ou par secteurs, ces temps de discussion permettent la rencontre de militants issus d’équipes différentes. Ces relais – une vingtaine en janvier 1987[11] – sont ainsi l’occasion d’échanges autour de thématiques spécifiques, propres aux milieux considérés, que ne permettent pas les structures ordinaires de l’ACO.
De plus, des « partages » sont proposés au gré des événements. Des « assemblées de travailleurs » sont organisées au cours de conflits du travail, en essayant de réunir une audience plus large que les réunions d’équipes ACO ou les relais, puisqu’elles s’ouvrent aux non-chrétiens. Outre l’ouverture de l’organisation vers le plus grand nombre, l’objectif est de se situer au plus près des préoccupations des ouvriers, ou plus largement des milieux populaires. La scolarité des enfants représente, pour ainsi dire, un cas d’école : un travail discret, mais intense, est mené, au sein de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), par de nombreuses militantes et militants, afin d’obtenir notamment des ouvertures de classe. D’autres actions revendicatives portent, par exemple, sur la question des loyers.
La présence de l’ACO est attestée dans de nombreuses entreprises, certaines de taille conséquente, d’autres beaucoup plus modestes. La faiblesse de l’effectif militant, eu égard à la masse de salariés embauchés dans l’industrie stéphanoise, ne couvre pas la majorité des employeurs présents. Les liens personnels permettent néanmoins d’étendre le champ d’action. Il n’y a pas de volonté manifeste d’entrisme, ni par secteur, ni par entreprise, à l’inverse des stratégies d’établissement des militants gauchistes. Le travail précède l’action militante. Le plus important, dans la démarche de l’ACO, est l’insertion dans une « communauté naturelle », liée à l’emploi ouvrier, autant que dans un « milieu de vie ».
Dans le Gier, ces militant·e·s sont repérables autour des usines BSN (verrerie), Marrel (groupe Creusot-Loire, sidérurgie), Voyer (métallurgie) pour Rive-de-Gier ; Mavilor (sous-traitance automobile, L’Horme), J.-B. Martin (textiles artificiels), Forely-Bayard (textile) et Verney-Cognet (mécanique) pour Saint-Chamond – l’usine Creusot-Loire de cette commune n’apparaît pas dans les sources consultées.
Deux équipes de l’ACO sont actives à La Talaudière et Sorbiers depuis le début des années 1970, une par localité. Leurs militants sont présents dans plusieurs entreprises de la zone industrielle de Molina-La Chazotte, fondée en 1973 dans le cadre de la conversion des houillères[12]. Dans ce territoire, véritable trait d’union entre les deux communes, environ 2 000 emplois sont créés au cours des années 1970 Très rapidement, l’action syndicale, cégétiste avant tout, s’y développe d’une manière efficace. Les problèmes sur l’emploi apparaissent tout aussi vite, l’ensemble donnant lieu à de nombreux conflits.
La situation est similaire à Saint-Étienne. La présence de militants de l’ACO est repérable dans quelques usines, relevant essentiellement de la métallurgie et de la mécanique. Il s’agit principalement de PME, même si quelques grandes concentrations ouvrières, comme les Bennes Marrel (matériel de transport), se distinguent. C’est également le cas de quelques sociétés plus marginales dans le tissu industriel local, comme l’entreprise CRC-Schlumberger (électronique). Le secteur tertiaire est aussi concerné. Des événements marquants permettent d’organiser des « assemblées de travailleurs » assez conséquentes. Au cœur de l’affaire Manufrance, à la fin de l’année 1980, une centaine de personnes se réunit dans ce cadre.
Dans l’Ondaine enfin, il existe plusieurs équipes de l’ACO, ainsi qu’un secteur dédié à l’ensemble de la vallée, et ce depuis les origines du mouvement. Quelques militants sont d’ailleurs identifiables[13]. Les conflits du travail ne donnent cependant pas lieu à des rencontres de types « relais », contrairement au reste du bassin stéphanois. De plus, à l’exception de l’établissement de Creusot-Loire Ondaine, peu d’entreprises sont explicitement mentionnées par les militants dans les comptes-rendus de réunions à notre disposition. Cette absence intrigue. À Roche-la-Molière, la présence de l’ACO se repère sur un tract signé conjointement avec la JOC, à l’occasion d’un conflit à l’usine Sablé (matériel automobile). L’investissement des militants au cours des grèves et autres mouvements sociaux semble cependant limité, comme dans le reste de la vallée de l’Ondaine.
Cette géographie des groupes de l’ACO, reconstituée en fonction des entreprises concernées par leur présence et/ou leur engagement, révèle des fractures, des zones blanches par rapport au nombre important de conflits recensés durant la même période. Les dossiers, parfois volumineux, des Renseignements généraux (RG) sur les conflits du/au travail survenus dans le bassin stéphanois entre 1962 et 1982 – plus de 1 000 événements répertoriés –, ne signalent pas l’activité de tels groupes. Peut-être faut-il y voir le signe d’une visibilité réduite de ces militants, ou bien la marque d’une ignorance – ou d’un désintérêt – de la part des RG… Cette configuration générale des agencements militants, ainsi que leurs orientations-motivations lors des conflits, interpellent les militants. Des critiques émergent en interne.
B. Profils des militant·e·s
Différents profils d’acteurs sont à distinguer. Les militants ouvriers – ou non – chrétiens engagés, membres de l’ACO, sont les acteurs principaux et les plus identifiables. Viennent ensuite des ouvriers chrétiens sympathisants qui, bien que gravitant autour des groupes, n’ont guère laissé de traces écrites. Les plus nombreux, en termes numériques, sont aussi les moins saisissables : ce sont des ouvriers chrétiens non engagés, ou ponctuellement, qui ne s’inscrivent jamais dans une perspective militante. Ceux-ci peuvent participer à des conflits sans mettre en avant leur foi. Un dernier groupe réunit les ecclésiastiques, principalement des aumôniers et des prêtres-ouvriers. Ces acteurs, parfois situés à la frontière du monde ouvrier, ont laissé de nombreuses traces, qui permettent de cerner leur véritable rôle durant les conflits.
Ces groupes de militants ouvriers chrétiens sont constitués, le plus souvent, de couples, généralement avec enfants. La majorité des membres a, sans doute, dépassé la trentaine. Les plus jeunes personnes mentionnées dans les sources sont souvent de potentiels adhérents. Issus de la JOC, ils cherchent à poursuivre leur engagement. D’autres, sans engagement militant préalable, semblent déterminés par un contexte ou conflit déclencheur.
Ces deux profils sont considérés en « accompagnement » : dans ce processus, l’influence d’un aumônier se révèle essentielle. La majorité des membres de ces groupes sont des militant·e·s « organiques », cumulant le plus souvent différents engagements. Ils sont ainsi des militants chrétiens – ACO, souvent passés par la JOC –, syndicaux – CFDT surtout, CGT dans une moindre mesure (pas de traces de FO, ni de la CFTC) –, politiques – PS, PSU principalement, quelques communistes – et/ou associatifs, par exemple comme adhérents de la FCPE.
Dans les archives consultées, ces différentes casquettes apparaissent souvent secondaires. Elles ne sont cependant jamais mises à distance, ce qui motive une question cruciale : comment (re)connaître, dans son propre vécu, en classe ouvrière, individuellement et collectivement, la vie et l’exemple de Jésus-Christ ? Comment être un militant chrétien et un militant ouvrier ? Ce n’est d’ailleurs pas tant le caractère ouvrier des individus qui composent ces groupes qui compte – tous ne le sont pas ou plus –, que la (re)connaissance et la possibilité de (re)trouver la vie du Christ, le message des Évangiles, dans l’expérience des ouvriers et ouvrières.
C. L’activité quotidienne
L’activité ordinaire de ces groupes est connue[14]. Il s’agit de se retrouver et de partager, entre ouvriers croyants, les expériences vécues à travers des « révisions de vie », véritable versant privé, presque intime, de la vie militante. Il peut s’agir aussi, dans une forme publique d’engagement, de rédiger un tract de soutien et/ou de dénonciation, parfois en collaboration avec d’autres organisations catholiques, principalement la JOC.
En plus de ces réunions, un certain nombre de rencontres jalonnent et rythment la vie de ces militants : lors des temps forts du calendrier chrétien (Pâques, Noël…) mais aussi, de manière plus banale, lors de diverses célébrations : mariages, naissances, décès, communions, etc. L’activité classique passe aussi par des récollections : retraites d’un week-end, en petits comités, pour réfléchir, prier, etc. L’essentiel des lectures de ces militants, outre la presse traditionnelle, syndicale et politique, tourne autour de Témoignage, la revue de l’ACO, et notamment de Témoignage spécial (un numéro par an), qui donne lieu à un effort de diffusion particulier, toujours confidentiel.
À côté de ces pratiques traditionnelles, une activité publique mais surtout militante, peut se développer durant les conflits du travail. Ces engagements sont liés le plus souvent, pendant les années 1970-1980, à la situation de crise industrielle. Il faut attendre, d’après nos sources, 1972 voire 1974-76, pour que l’intervention et l’action des militants chrétiens se développent de manière plus visible et, surtout, plus soutenue. Ce n’est probablement pas un hasard si c’est durant cette période de crise et de conflits que ces militant·e·s trouvent des leviers et des raisons d’agir au grand jour.
La lecture des comptes-rendus des révisions de vie, des réunions de secteurs et, surtout, d’événements ouverts comme les assemblées de travailleurs », révèle les conséquences sociales et humaines de la crise, évoquées dans le détail. Les souffrances, les inquiétudes, les espoirs aussi, vécus par les travailleurs et travailleuses, permettent alors de retrouver, sinon justifier, une présence du Christ. À son image, le monde ouvrier souffre. Il lutte également, et résiste. Les conflits du travail deviennent ainsi l’occasion de mettre l’Évangile en actes.
II. Présences et actions lors des conflits
Il s’agit maintenant d’interroger la manière dont les différents groupes de l’ACO et leurs militants s’insèrent dans les conflits du travail. Si cet engagement de chrétiens diffère de l’action syndicale ou politique, le répertoire d’action qu’il fonde n’est pas nécessairement inédit au sein du mouvement ouvrier.
A. L’ordinaire
Le tissu industriel de la ville de Saint-Chamond fournit trois situations exemplaires. À partir d’avril 1974, un conflit éclate dans une entreprise textile, Forely-Bayard. Il aboutit à l’organisation de rencontres réunissant des militant·e·s de l’ACO et des ouvrières de l’entreprise. Ces réunions prennent la forme classique de partages, mais les membres impliqués tentent de passer au stade des révisions de vie. Les échanges permettent de longs développements sur les expériences vécues durant le conflit. Ils sont l’occasion d’analyser les relations entre ouvriers. La place du Christ dans ces situations est également discutée.
Un autre conflit, relativement violent, survient à la fin de l’année 1975 dans l’entreprise Furnon (sous-traitance automobile). Au début de l’année 1976, une rencontre est organisée, à proximité de l’usine, par l’équipe ACO du quartier du Creux, afin d’aborder le conflit. Aucun travailleur de Furnon n’est présent, et aucune action publique n’est entreprise ou même envisagée. L’analyse de cette expérience par le groupe fait ressortir que « le partage avec les travailleurs ne peut se faire que si un militant d’ACO est dans le milieu et vit avec sa communauté naturelle[15] ».
Un autre mouvement social, le conflit J.-B. Martin de 1978, résulte en plusieurs échanges et partages entre travailleurs et militant·e·s, mais aussi de relations officielles entre l’ACO et l’intersyndicale de l’usine occupée. Ce rapprochement ne débouche cependant sur aucune forme d’activité originale. Les conditions sont pourtant favorables à une action de l’ACO : de nombreux membres de l’organisation, notamment des femmes, sont présents dans le quartier ou même dans l’usine, qui bénéficie également d’une syndicalisation importante de son personnel. Il faut cependant noter l’impression de deux tracts par le secteur de la vallée du Gier. Le premier est édité à la fin de l’année 1978 [document 1]. Il fait suite à l’intervention de gardes privés, le 22 décembre au matin, recrutés afin de déloger les occupants de l’usine. Un autre document, d’ordre plus général, intitulé « Qu’est-ce que l’homme sans travail ? », est diffusé en janvier 1979 [document 2]. Ces deux imprimés contribuent à donner une visibilité à l’ACO. L’action des militants ne déborde toutefois pas du cadre conventionnel prescrit par l’organisation.
Il en est de même lors de différentes rencontres entre militants du Gier, lorsqu’il est question d’autres entreprises en difficulté ou en conflit, comme Mavilor (vilebrequins pour moteurs, Lorette) ou BSN. Ces situations sont largement commentées et analysées, dans une perspective de révision de vie. Aucune initiative d’action ne semble envisagée en tant qu’ACO, hormis les tracts. Certains participants à ces réunions travaillent pourtant dans les entreprises concernées.
Le même schéma s’observe à Saint-Étienne. La seule exception notable est le conflit Manufrance, plus particulièrement entre 1978 et 1980. L’ACO et l’évêque, sur la demande de l’intersyndicale de l’entreprise, prennent alors position, sous forme de tracts [documents 3 et 4]. Des rencontres de travailleurs s’organisent dans différents quartiers, sans que cela n’ait de répercussion sur l’activité d’autres entreprises locales. L’engagement des membres de l’ACO demeure circonstancié, et ne s’étend pas à leurs propres établissements, même lorsque des grèves y éclatent.
Ainsi, l’action, ou plutôt l’activité des militants, apparaît tournée essentiellement vers l’approfondissement des révisions de vie. Cette pratique s’inscrit bien dans l’orientation générale de l’ACO. L’organisation ne doit pas s’engager, en tant que telle, dans les conflits. La majorité des ouvriers-ouvrières militants chrétiens étant par ailleurs délégués ou membres actifs de syndicats, cet engagement dans les conflits du travail se réalise par ailleurs. En ACO, l’objectif est de réfléchir à ces expériences lors des révisions de vie.
Cette dichotomie entre action syndicale, d’un côté, et action en tant que chrétien·ne, de l’autre, devient cependant problématique pour certain·e·s militant·e·s. La vocation de l’ACO s’inscrit dans une perspective missionnaire. Il s’agir de construire et pérenniser une présence en milieu ouvrier. Il n’est pas question de se présenter et d’agir en tant qu’organisation de lutte ouvrière, ou faisant simplement partie prenante des relations industrielles. L’ACO n’est pas, en ce sens, une organisation du mouvement ouvrier. Elle revendique surtout un rôle d’accompagnement vers la parole du Christ – et vers l’institution qu’est l’Église catholique. La lutte est ici spirituelle, et ne relève pas, théoriquement, de l’action politique. La réalité apparaît toutefois différente, dès lors que l’horizon de l’ACO est de s’adresser à l’ensemble de la communauté chrétienne.
B. L’extraordinaire : le conflit Celduc, 1976
Le fonctionnement ordinaire de l’ACO en région stéphanoise, contesté par la parole, peut même être mis en doute par les actes. Le conflit Celduc, qui se déroule au cours du premier semestre 1976, en est la preuve. Le directeur de cet établissement, implanté dans la récente zone industrielle de Sorbiers/La Talaudière, est Michel Guichard, un membre de la famille dirigeant la société Casino – petit-fils de Geoffroy et fils de Paul. L’usine emploie 170 salarié·e·s dans deux ateliers distincts : l’un fabrique des transformateurs, l’autre des composants électroniques pour les PTT. Le personnel est en grande partie composé de jeunes femmes.
Une grève perlée est menée au début du mois de janvier 1976. Elle porte sur les classifications, c’est-à-dire la valeur du point, et sur la garantie de l’emploi. Bien que nouvelle, la zone industrielle connaît une inquiétante montée du chômage. Le mouvement se transforme en grève illimitée le 2 avril. Trente licenciements sont envisagés par la direction. En riposte, trente-cinq travailleurs et travailleuses décident l’occupation, à partir du 22 avril. Le 27 avril, une manifestation de non-grévistes, ouvriers, employés et cadres, se déroule à Saint-Étienne. Le 28, lors d’un comité d’entreprise extraordinaire, trente-neuf licenciements – dont neuf concernent des responsables syndicaux – sont annoncés, pour fautes graves, à savoir occupation illégale et entrave à liberté du travail. Les délégués sont cités en référé, et l’évacuation est ordonnée.
Le 3 mai, des négociations se déroulent à la direction départementale du travail. Au même moment, la direction et certains cadres tentent de forcer les portes de l’usine. L’occupation prend fin le 11 mai, mais soixante-douze ouvrières et ouvriers tiennent un piquet de grève devant les grilles de l’usine, empêchant les camions d’entrer dans l’enceinte. Un nouveau référé tombe. Le reste du personnel reprend le travail. Le 20 mai, après de longues discussions, une commission de conciliation est décidée et fixée au 26 mai, Michel Guichard ne se présentant pas, celle-ci est repoussée au 2 juin. La direction renonce alors aux licenciements. Le conflit s’achève après 56 jours de grève.
Cette issue doit beaucoup à la présence, à l’activité et à l’action de chrétien·ne·s, laïcs et clercs, et particulièrement aux militant·e·s de l’ACO. Les prêtres du secteur, dont un aumônier ACO, Pierre Giron, ont publiquement abordé la situation de Celduc, lors d’une messe célébrée à Sorbiers, au Grand Quartier, le dimanche 25 avril, puis lors d’une rencontre avec des jeunes, organisée le 28 suivant. Le 30, un délégué CGT de Celduc informe les prêtres du secteur qu’une collecte serait organisée à la sortie des messes.
Il faut attendre le 1er mai pour que soit officialisée l’implication de l’ACO dans le conflit. Le père Giron, lors de la messe de 18 heures 30, prêche une nouvelle fois sur les événements de Celduc. Dans le même temps, se déroule une assemblée de travailleurs, proposée par l’ACO, mais décidée en amont du conflit. La pratique remonte à 1972 dans le secteur de Sorbiers/La Talaudière. Lors de cette réunion, une quarantaine d’adultes sont présents, dont quatre travaillent chez Celduc. À la fin de cette veillée, les participant·e·s se rendent dans l’usine. Ils souhaitent partager avec les grévistes présents réflexions et victuailles. Ils leur remettent les gains d’une collecte effectuée durant l’assemblée : « qui c’est ? », demande un gréviste. « C’est l’ACO », lui répond-on[16].
Le dimanche 2 mai, une homélie de circonstance est prononcée lors des messes tenues à la Talaudière et au Grand Quartier (Sorbiers). Une « Invitation [est] lancée à TOUS [les croyants] pour réfléchir » à ce conflit et à ses conséquences humaines et sociales. Le même jour, une assemblée générale d’information est organisée par les syndicats de Celduc. Ceux-ci invitent une délégation de l’ACO, une autre de la JOC, ainsi qu’un prêtre, nommément présentés lors de l’ouverture des débats. L’implication des militant·e·s chrétien·ne·s dans le conflit est ainsi reconnue explicitement.
Au cours des jours suivants, un certain nombre d’occupants interrogent, selon des témoignages de grévistes recueillis par un militant local de l’ACO, « la place des chrétiens dans l’événement ». Un clivage apparaîtrait, parmi les paroissiens, sur la position à tenir face à la grève. Les prêtres du secteur constatent ainsi, lorsqu’ils se rencontrent afin d’envisager la suite des événements et d’analyser leurs propres actes, que la situation « fait apparaître sinon deux Églises, du moins deux visages opposés de l’Église ».
Une clarification apparaît nécessaire. Une assemblée de travailleurs est envisagée, devant associer des membres de l’ACO à cinq salarié·e·s grévistes de Celduc. Le 21 mai, une nouvelle entrevue des prêtres du secteur décide la distribution d’un texte aux chrétiens le jour de l’Ascension, soit le 27 suivant, « pour les aider à réfléchir ». Organisée le 26 mai, l’assemblée des travailleurs en grève de Celduc rassemble quarante-deux personnes. Le même jour, Henri Sabot témoigne, lors du Conseil de l’évêque, du vécu des grévistes. Le délégué diocésain à la mission ouvrière, réside dans le quartier de Méons (Saint-Étienne), limitrophe de la zone industrielle, est un témoin attentif du conflit Celduc. Il se préoccupe surtout, comme les autres religieux du secteur, de la place des prêtres, de leur rôle et attitude pendant le mouvement, puisque leur simple présence engage l’Église toute entière.
Deux nouvelles rencontres sont organisées, au tournant des mois de mai et juin, par les prêtres de la paroisse, qui y convient des ouvriers croyants non grévistes[17]. L’objectif est de prouver aux paroissiens que les prêtres sont à l’écoute de tous. Des femmes de grévistes se sont d’ailleurs réunies durant le conflit, afin d’échanger sur leurs expériences, à partir de la lecture du numéro de Témoignage Spécial publié dans l’année. Le journal est d’ailleurs proposé au piquet de grève et dans le quartier au cours de la grève – soixante-quinze exemplaires sont vendus.
Le conflit Celduc se révèle singulier pour l’ACO dans la mesure où il n’existe pas d’autre exemple, pour la Loire du moins, d’une telle activité. Les interactions entre militants chrétiens, ouvrières et ouvriers, sont remarquables. Cet exceptionnalisme repose avant tout sur le contexte local. L’usine Celduc emploie de nombreux jeunes de l’agglomération de La Talaudière et Sorbiers. L’activité syndicale y est intense depuis le début des années 1970. Le secrétaire de l’Union locale CGT est membre de l’ACO. La rencontre et le partage entre grévistes et l’assemblée réunie par l’ACO le 1er mai 1976 légitiment, sans que cela ne soit voulu, la présence de l’ACO dans le conflit. L’organisation, impliquée presque malgré elle dans cet événement, doit ensuite faire face aux questionnements et aux doutes des militant·e·s chrétien·ne·s. Cet engagement, soutenu plus ou moins explicitement par les prêtres locaux, sort ainsi de son répertoire ordinaire d’action.
La grève du printemps 1976 permet de renforcer les équipes locales de l’ACO. Elle ne constitue pas pour autant un modèle pour les mouvements touchant d’autres usines de la zone industrielle. Les conflits Ixeco (textile) en 1977, Villard-Doron (textile) en 1978 ou Sefamec (sous-traitance automobile) en 1979 sont l’occasion de partages avec certains des travailleurs concernés. L’ACO ne s’implique cependant ni de la même manière, ni avec la même intensité qu’au cours du conflit Celduc. Parmi les facteurs d’explication, le fait qu’une partie remarquable du personnel de ces usines ne réside pas dans les communes de La Talaudière et Sorbiers induit sans doute une absence de familiarité entre militant·e·s d’ACO et travailleurs. L’origine immigrée, notamment nord-africaine, d’une partie des ouvriers concernés, comme chez Sefamec, peut être une autre cause de cette distance.
C. L’action et les autres chrétiens
L’activité des membres de l’ACO et des prêtres durant ces conflits, bien que discrète, n’est pas dissimulée pour autant. Ces rencontres, partages et autres assemblées de travailleurs sont bien souvent discutées dans la hiérarchie diocésaine, notamment dans le cadre du conseil diocésain de la mission ouvrière (CDMO). La majorité des conflits cités lors de ces réunions fait l’objet d’une discussion formelle quant à la situation des travailleurs et travailleuses et des entreprises. L’échange ne porte pas sur l’implication ni sur le rôle des militants chrétiens dans ces événements, à l’exception des grèves de Celduc et Manufrance. Cette singularité représente un indice supplémentaire du caractère singulier et extraordinaire de l’activité de l’ACO durant ces mouvements. La réunion du CDMO organisée le 25 juin 1976 accorde, en plus des dossiers courants, une large place à l’analyse du conflit Celduc. Deux militants et un prêtre du secteur sont invités afin d’évoquer celui-ci[18]. La problématique retenue cible explicitement la controverse alors en gestation au sein de l’organisation : « Sommes-nous d’accord sur une telle mission ouvrière ? Pourquoi ? Quels manques y voit-on ? Quelles exigences cela pose à notre mouvement ou groupe ? ».
Le rôle et l’attitude de l’évêque de Saint-Étienne pendant cette période sont des aspects encore peu renseignés. Peu d’informations ont pu être collectées à ce sujet. Paul-Marie Rousset est depuis mars 1966 évêque auxiliaire de Lyon en résidence à Saint-Étienne – il devient le premier évêque du diocèse de Saint-Étienne en février 1971. Attentif à l’action catholique en général, soucieux d’une organisation respectant les identités professionnelles, l’évêque a désigné en 1968 le père Henri Sabot comme délégué diocésain à la mission ouvrière. Ce dernier demeure en fonction jusqu’en 1990, soit deux années après la démission de Mgr Rousset. Il existe, sans doute, une certaine convergence de vues entre le prêtre et son évêque quant à la question ouvrière[19]. Déjà, en avril 1972, un tract sans ambiguïté avait été distribué, sous sa bénédiction[document 5]. Le ton et l’esprit, offensifs, sont dans l’air du temps.
Après avoir dressé un bilan de la situation locale (chômage, licenciements, crise dans le textile, fermeture des houillères, etc.) et ses conséquences, l’argumentaire révèle ce qui anime ces militants. Le texte met en avant l’idée qu’ils se font des conflits sociaux et de l’affirmation non seulement des hommes, « debout » car « Dieu veut des hommes debout », mais du monde ouvrier tout entier, qui ne peut devenir libre qu’au moyen d’un combat. Le tract se poursuit sur une dénonciation du libéralisme et des groupes financiers internationaux, soit une dénonciation, au nom de l’Évangile, de la corruption des hommes par le pouvoir de l’argent.
Le propos, s’il est incisif, ne doit pas tromper. Dans l’esprit, il n’est pas généralisable à l’ensemble des chrétiens. Il reste en effet à apprécier les relations entre chrétiens durant les conflits. Les interventions classiques des militants ne posent pas question, puisque réalisées à l’intérieur de cercles consentants. Du moins, si elles sont objets de débats, leurs traces sont rares. Par contre, les interventions publicisées provoquent réactions et tensions au sein des communautés chrétiennes formées par les paroissiens. Lors du conflit Celduc, l’attitude des chrétiens rassemblés et reconnus par la population sous l’étiquette de l’ACO interroge les grévistes, qui constatent que la communauté chrétienne locale, tout comme la population dans son ensemble, est divisée sur la question de la grève. Cette division éclate au grand jour le dimanche 25 avril, lors de la messe au Grand Quartier :
« Comme chaque semaine, un des prêtres avait préparé avec quelques paroissiens les intentions pour la prière universelle. La personne chargée de les lire (femme d’un petit patron) refuse de lire celle qui concerne les grévistes et qui était ainsi rédigée : “Beaucoup de nos frères sont en grève et luttent pour défendre leur emploi. Afin que les incompréhensions et l’égoïsme n’entravent pas les recherches de conciliation, prions…”. Les paroissiens qui avaient demandé qu’on prie à cette intention viennent alors demander pourquoi on ne l’a pas fait. Jean Chapuis est donc amené à expliquer le refus de celle qui devait lire les intentions[20] ».
Les incompréhensions ne s’arrêtent pas là. La sortie de la messe du 1er mai 1976 révèle encore les dissensions à l’œuvre :
« […] les filles qui faisaient la collecte à la sortie des messes à Sorbiers se sont fait injurier par des paroissiens. Du moins, elles ont reçu comme des injures les réflexions qui leur ont été faites : “Si vous voulez de l’argent, vous n’avez qu’à pas faire grève… Si vous voulez de l’argent, allez faire le trottoir…” ».
Dans la ville, les tensions sont de plus en plus vives, notamment entre les femmes de grévistes, qui sont quotidiennement confrontées aux regards du voisinage. Cette situation provoque des rencontres entre croyantes qui soutiennent la grève, afin de partager ces expériences mal vécues. Il est permis d’imaginer que, de leur côté, des femmes non-grévistes ou femmes de non-grévistes agissent de la sorte, de manière peut-être plus informelle. La communauté chrétienne locale se divise en tout cas, accentuant la réflexion des prêtres du secteur sur leur pastorale. Cette division du monde catholique, qui repose sur des politisations concurrentes, s’étend également au niveau de l’ACO et de ses militant·e·s.
III. Débats et dégâts : du sens aux moyens de l’engagement
L’ACO, comme toute organisation, connaît des débats internes. Ceux-ci proviennent de discussions et de remises en question sur les buts et moyens, et même quant à la raison d’être de la structure. Ces réflexions s’expriment notamment lors des rencontres nationales de l’ACO, réunies tous les 2 ou 3 ans. Elles donnent lieu à des contributions critiques, notamment de la part des différents CDMO.
L’ACO de la Loire soumet ainsi, lors de la rencontre nationale de Lyon des 6, 7 et 8 mai 1977, une contribution critiquant le peu de place accordée, selon elle, aux partages avec les travailleurs dans le rapport d’activités établi par Paris[21]. Si la dénonciation demeure latente, elle met en lumière la prise en compte jugée trop relative des témoignages et récits de vie des ouvriers, croyants ou non. Cette omission, stratégique ou inconsciente, est aberrante selon les militant·e·s, compte-tenu de la mission de l’ACO. Le rôle de l’organisation, durant les conflits, est fortement questionné. L’ACO est sensée traduire la foi de ses adhérent·e·s, notamment par l’intermédiation des aumôniers, afin de permettre aux travailleurs de « rencontrer Jésus-Christ[22] ». L’engagement des militant·e·s lors des conflits, finalement la mise en actes de la foi, devient alors problématique. La visibilité de l’ACO implique une prise de position officielle qui, selon le fonctionnement hiérarchique de l’Église, risque d’engager l’institution toute entière. Les prêtres aussi sont conduits à la réflexivité critique : lors du conflit Celduc, l’analyse faite à froid par les prêtres du secteur en décembre 1976 déplore leur « manque d’audace pour […] proposer Jésus-Christ » aux travailleurs, grévistes et non-grévistes.
Dans cette perspective, un document – et sa version de travail, légèrement différente – retient l’attention. De courtes citations permettent de mesurer les débats et critiques qui animent certains militants et groupes de l’ACO. Daté du 1er novembre 1979, ce texte est titré « Contribution à la tribune de discussion préparant la XIIe rencontre nationale de l’ACO », cette dernière étant fixée en mai 1980. Rédigé par les équipes de La Talaudière, il soumet à la réflexion les questions essentielles à traiter, selon les auteurs, dans la préparation de la rencontre et sur lesquelles l’équipe devra « définir une orientation ».
Six points sont abordés : « le partage avec les travailleurs et les moyens que le mouvement doit se donner pour cette démarche » ; « l’intervention publique de l’ACO dans des événements de la vie et de la lutte de la classe ouvrière » ; « le rôle de Témoignage » ; « les problèmes posés par le nombre toujours plus grand de camarades militants de la classe ouvrière, croyants, qui ne participent pas (ou quittent) l’ACO » ; « la formation des militants » ; enfin, « la place des aumôniers » dans le mouvement. Ce sommaire indique, à lui seul, bien des points sensibles. Le fonctionnement interne de l’ACO, ses moyens de propagande et d’action ne paraissent plus adaptés à la vocation même de l’organisation :
« Nous pouvons dire que notre souci permanent a été l’utilisation des moyens du mouvement, particulièrement Témoignage… mais que malheureusement, il nous a que trop rarement été utile ! alors nous avons-nous-mêmes tirés des invitations, tracts, comptes-rendus… sans pouvoir s’appuyer sur l’acquis collectif du mouvement ! […] c’est au cœur de la lutte que nous avons à partager, confronter, rechercher… c’est là que l’esprit de Dieu est à l’œuvre, c’est donc une exigence que les membres de l’ACO, l’ensemble du mouvement se donnent les moyens d’être présents individuellement et collectivement dans ce partage [car], les décisions issues des révisions de vie, les moyens du mouvement devraient être “tendus” vers cet objectif de partager la vie, l’action, les luttes pour être, à partir des actes et de l’expression des camarades de combat, à l’écoute des signes de J. Christ. [Mais] cela suppose aussi que les membres de l’ACO, le mouvement agissent, parlent “au grand jour”… nous ne sommes pas une secte, ni un groupement clandestin… être tels que nous sommes individuellement et collectivement : “des combattants de la classe ouvrière, croyants en Jésus Christ, chercheurs de Dieu dans la vie et les luttes d’aujourd’hui”. »[23]
Les mots sont ainsi posés sur le malaise qui grandit au sein des équipes locales de l’ACO. Le contexte socioéconomique « amène de fait, le mouvement à prendre position, au nom de ce qu’il est et de sa mission, dans certains événements marquants qui mettent en cause la vie, l’homme, l’amour ». Située à la frontière du mouvement ouvrier et des milieux chrétiens, l’organisation n’ignore pas que « la lutte des classes traverse l’Église et les communautés de croyants. C’est au cœur des tensions, [et] des affrontements que cela provoque, que le mouvement doit dire [aux travailleurs et à l’ensemble des chrétiens] ce qu’il est, de quel côté il est ». La conciliation entre identités ouvrière et chrétienne demeure fragile face aux conflits du travail : « Quelle vie d’Église nous proposons à ceux qui cheminent au travers de ces rencontres ? en sachant que ce n’est pas automatiquement dans la rencontre d’équipe, dans la révision de vie qu’ils pourront se retrouver d’emblée ! ».[24]
Un renouvellement de l’organisation apparaît nécessaire, notamment à l’échelle des milieux de vie et des entreprises : « Quels moyens pour prolonger le débat individuel quotidien… ou la rencontre de travailleurs. Aujourd’hui Témoignage n’a pas ce rôle ! alors quoi ? rien ? ». L’exemple du livre Aurélie, Journal d’une OS[25], écrit par une militante de l’ACO, permet d’envisager une piste concrète. L’ouvrage « a été un moyen de partage, d’approfondissement, de respect, de reconnaissance de ce que sont les chrétiens au cœur de la lutte de classes. De fait elle a permis une expression publique de ce qu’est le mouvement ! cela ne nous interroge t’il pas sur quoi doit se doter le mouvement pour cette démarche de masse ? »
L’opposition grandissante entre la philosophie générale de l’ACO et les engagements propres de ses membres s’avère complexe à résoudre, de l’aveu même des militants ligériens :
« […] la crise et les conflits ont nécessairement rendues publiques des positions de militants du mouvement [or] nous avons le sentiment que cette démarche n’est pas le fait de tout le mouvement. Des réticences, des oppositions, voire des sortes d’interdits subsistent : au non du “regroupement”, au nom des engagements divers des membres de l’ACO. Nous sommes sensibles à ce que de telles démarches ne peuvent se faire n’importe quand, n’importe comment, sur n’importe quoi, et à tous propos… Mais quand même ! Ne risquons-nous pas d’apparaître “un rassemblement incolore et inodore”, conservant en son sein jalousement ce qu’il apprécie des situations et des luttes ? D’ailleurs en ce sens-là, le Comité national, ou l’équipe nationale donnent le ton ! »[26]
De fait, de nombreux militants ouvriers, croyants, quittent ou restent en marge du mouvement, ce qui devrait poser de « graves questions » à celui-ci :
« Il est temps de cerner pourquoi […] d’écouter ce que disent ces camarades ! La forme et le contenu de la vie en mouvement leur paraît à cent lieux de leur activité militante… pour beaucoup, “un mouvement bien gentil” est en question. Ils refusent une démarche qui minimise, rapetisse l’affrontement de classes. Ils posent des questions […]. Alors posons-nous-les aussi. Et confrontons les expériences sur les réponses apportées ici ou là ».
L’organisation doit aussi accepter de ne pas être la seule détentrice d’une traduction chrétienne du travail ouvrier, au risque de se couper d’une partie des travailleurs chrétiens :
« […] d’autres militants croyants, ne sont pas à l’ACO ou l’ont quitté il y a 5, 10 ou 15 ans… un certain nombre de ces camarades continuent à s’exprimer en tant que chrétiens… et heureusement ! Parfois ils se regroupent d’une manière informelle, ils sont d’ailleurs connus et reconnus comme chrétiens. Quelle est notre attitude face à eux ? Allons-nous rester longtemps sur le “hors de l’ACO pas de salut” ? »
Tout cela nécessite, notamment dans la perspective « d’authentiques révisions de vie », la nécessaire formation des militants :
« Nous avons besoin de donner des assises et de la consistance à notre foi. Nous avons besoin de formation, de réflexion, de recherches, de confrontations, pour que l’appel de Dieu, le message de Jésus Christ, l’expérience des croyants au fil des siècles soient traduits pour la vie d’aujourd’hui. Dans ce sens, la révision de vie mensuelle, la journée d’étude, où la [récollection] annuelle ne peuvent suffire. Des efforts importants sont réalisés dans ce sens par des équipes ou des secteurs… au gré des besoins et des possibilités de chacun ! Nous considérons que la direction nationale devrait proposer chaque année quelques grands axes de formation et élaborer les matériaux nécessaires. »
Ces analyses posent de nombreuses questions et témoignent de doutes et débats qui traversent non seulement certains militants, mais le mouvement tout entier. L’identité et le rôle de l’ACO restent pour certains, en ces temps difficiles, encore à définir. La mise en cause du Comité national soulève la question des orientations générales du mouvement, de ses méthodes et fondements. Il témoigne aussi d’une critique, ordinaire dans de nombreuses organisations, quant à la distance séparant la direction du terrain.
Conclusion
L’insertion des militants de l’ACO et de cette organisation, en tant que telle, dans les conflits du travail, apparaît singulière particulière. Elle traduit une philosophie spécifique et inhabituelle dans le mouvement ouvrier – dès lors que l’on inclut l’ACO dans celui-ci. L’organisation porte également l’ambition d’une transformation de la société, mais place celle-ci dans une perspective évangélique.
C’est aussi ce qui différencie l’ACO des « chrétiens de gauche » et des autres organisations chrétiennes, souvent groupusculaires, aux perspectives politiques plus évidentes, qui apparaissent ou se renforcent durant les années 1970. L’ACO et ses militant·e·s cherchent une autre voie. Mais celle-ci s’avère problématique et demeure en perpétuelle construction, étant sujette à débats, sinon à de véritables critiques. L’orientation originelle de l’ACO est ainsi questionnée, que ce soit au cours des conflits ou dans le cadre des analyses ex post produites par les militants du terrain.
Le conflit Celduc est en ce sens exemplaire : agir en tant qu’organisation ne va pas de soi pour l’ACO. Ses militant·e·s se retrouvent parfois en porte-à-faux vis-à-vis de leurs engagements et de leurs actions, notamment lorsque celles-ci sont connues et reconnues par les autres militants ou leurs collègues. La critique portée aux orientations nationales par l’équipe de La Talaudière, animée par des personnalités fortes et très engagées syndicalement, permet ainsi de mieux comprendre ce qui est considéré, par ces militants, comme une profonde incohérence de l’organisation, entre les structures qu’elle se donne et les principes et objectifs qui l’animent.
Ces critiques sont toutefois exceptionnelles. Elles traduisent les tensions qui traversent l’organisation et ses militants. Les conflits du travail, et l’insertion de l’ACO dans ceux-ci, mettent en question les manières de faire et de penser, ainsi que leur articulation. Si le VOIR et le JUGER de la JOC sont pleinement réalisés, l’AGIR, au sein de l’ACO, demeure alors un débat non résolu.
Alban GRAZIOTIN
Notes :
[1] Bruno Duriez, Étienne Fouilloux, Alain-René Michel, Georges Mouradian, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Chrétiens et ouvriers en France. 1937-1970, Paris, Éditions de l’Atelier, 2001, 349 p. ; Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule « Des prêtres-ouvriers au mouvement missionnaire français. Bilan historiographique et nouvelles perspectives », Histoire et missions chrétiennes, n°9, 2009, p. 9-41 ; Jacques-Olivier Boudon, « L’histoire religieuse en France depuis le milieu des années 1970 », Histoire, économie & société, 31e année, n°2, 2012, p. 71-86.
[2] Parmi une bibliographie de plus en plus abondante : Denis Pelletier, Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012, 614 p. ; Denis Pelletier, « Catholiques français de gauche et d’extrême gauche à l’épreuve du “moment 68” », Histoire@Politique, n°30, 2016, p. 114-127 ; Yvon Tranvouez, « Connections de faible intensité : la fragmentation de la gauche catholique en Europe occidentale (1962-1978) », Histoire@Politique, n°30, 2016, p. 144-154 ; André Rousseau, « Petite bourgeoisie intellectuelle et classe ouvrière dans la configuration des chrétiens de gauche en France (1962-1978) », Histoire@Politique, n°30, 2016, p. 98-113 ; Bruno Duriez, « La différenciation des engagements : l’Action catholique ouvrière entre radicalisme politique et conformisme religieux », communication à l’atelier « Porter les Évangiles au monde » : les logiques religieuses d’engagements politiques des catholiques au XXe siècle, congrès de l’Association française de science politique, Toulouse, septembre 2007 ; Julie Pagis, « La politisation d’engagements religieux. Retour sur une matrice de l’engagement en mai 68 », Revue française de science politique, vol. 60, n°1, 2010, p. 61-89 ; et, plus ancien, le dossier « À gauche, ces chrétiens… », Autrement, n°8, 1977, 224 p.
[3] Anouk Flamant dans sa recension de l’ouvrage À la gauche du Christ, op. cit., dans la revue Genèses, n°91, 2013, p. 142-144.
[4] André Rousseau, « L’Action catholique ouvrière », Actes de la recherche en sciences sociales, n°44-45, novembre 1982, p. 70-71 ; Christelle Gille, « Quarante ans d’Action catholique dans le diocèse de Lille (1950-1990) », Revue du Nord, tome 79, n°319, 1997, p. 139-157 ; Philippe Wozelka, L’Action catholique ouvrière dans le diocèse de Nice de 1945 à 1984, Nice, Alandis, 2001, 199 p. [résumé du mémoire de maîtrise] ; Marcel Launay « Les militants de l’Action catholique ouvrière dans le diocèse de Nantes de 1950 à 1975 », in Brigitte Waché (dir.) Militants catholiques de l’Ouest. De l’action religieuse aux nouveaux militantismes, XIXe-XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 157-168.
[5] « L’ACO ne propose donc pas des objectifs militants ; elle se veut un regroupement et gère en fait le rapport de catholiques à leur « action ouvrière », tout en exprimant localement ou au plan national des positions sur les conflits sociaux. » (André Rousseau, « Petite bourgeoisie intellectuelle et classe ouvrière… », art. cit., p. 2).
[6] Denis Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002, 321 p. ; André Rousseau, Pour une sociologie de la crise catholique. France, 1960-1980, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique / Université de Bretagne occidentale, 2015, 356 p.
[7] Sur la genèse de cette organisation : Joseph Debès, Naissance de l’Action Catholique Ouvrière, Paris, Éditions ouvrières, 1982, 285 p. Les archives consultées contiennent les listes des équipes, leurs membres, affiliations politiques et/ou syndicales, le contexte de leur naissance, etc.
[8] « Pour un fonctionnement renouvelé du bureau diocésain et du comité diocésain », Comité Diocésain ACO Saint-Etienne, 26 mars 1988.
[9] Anthony Favier, « La révision de vie. Une pratique religieuse méconnue au cœur du catholicisme français », Archives de sciences sociales des religions, n°186, 2019, p. 141-162.
[10] Aucune donnée n’a été trouvée pour les années antérieures.
[11] Citons, parmi les relais : Casino, Manufacture nationale d’armes de Saint-Étienne, métallurgie, fonction publique, santé, enseignants, services handicapés, personnel d’encadrement, chômeurs, retraités, engagés en politique, vie associative, parents d’élèves, immigrés, en direction des jeunes, etc.
[12] Sur la politique de conversion des houillères et la création de zones industrielles, cf. Christelle Morel-Journel, De la construction du bassin aux enjeux de la mémoire minière : les territoires du charbon en région stéphanoise (XIXème–XXème), thèse de doctorat en géographie, Université de Saint-Étienne, 1999.
[13] Par exemple, Raymond Sibord, prêtre-ouvrier en activité dans la vallée, ou Marie Petit, ouvrière dans le textile et déléguée à l’Union régionale textile CFDT.
[14] André Rousseau, Pour une sociologie de la crise catholique…, op. cit.
[15] Compte-rendu de réunion ACO secteur du Gier, dactylographié, sans date.
[16] « Notre place de prêtres dans les événements de “Celduc” », 7 p., ainsi que le texte de l’homélie du 7 mai 1976, décembre 1976. Les citations suivantes sont issues de ces documents.
[17] Entretien avec le père Pierre Giron, aumônier ACO dans le secteur de La Talaudière/Sorbiers, 20 février 2018.
[18] « Une mission ouvrière vécue sur le terrain dans le conflit Celduc (ZI de Sorbiers) », 10 juin 1976, document retenu par le bureau du Conseil diocésain de la Mission ouvrière en vue de sa prochaine réunion plénière le 25 juin 1976. « Nous cherchons à nous communiquer tout ce qui se vit de mission ouvrière sur le terrain surtout depuis la session nationale de mission ouvrière de Lyon (mai 1975) ».
[19] Cet intérêt de Paul-Marie Rousset pour la question ouvrière se manifeste notamment lors de la grève de la faim des travailleurs tunisiens du printemps 1973. L’évêque accepte, par humanité, l’ouverture des locaux paroissiaux de Saint-Ennemond (Saint-Étienne) au bénéfice des ouvriers sans-papiers, revendiquant la régularisation de leur situation administrative. À côté des nombreux militants syndicaux et politiques soutenant ce mouvement, les membres locaux de l’ACO s’engagent au nom de la solidarité ouvrière. Cf. Jean-Paul Bénetière et Alban Graziotin, « 1973 : Étranges étrangers ! La grève de la faim des sans-papiers tunisiens », L’Émission mensuelle du GREMMOS, Radio Dio, 18 avril 2013 ; Bruno Martin, Chrétiens dans la Loire. 1 500 ans d’histoire, Saint-Étienne, Osmose, 2021, p. 339-340.
[20] « Notre place de prêtres dans les événements de “Celduc” », doc. cit. Cf. Jean-Michel Steiner, « CHAPUIS Jean, dit Pintaud », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social MAITRON [en ligne], 2020.
[21] ACO-Loire « Intervention du Comité Diocésain aux journées Nationales 6, 7, 8 mai 1977 à Lyon », dactylographié, sans date.
[22] Idem.
[23] Première version du texte, suite non retenue : « C’est tout le problème de la visibilité du mouvement. À la suite de ces rencontres, des travailleurs ont posé la question du contenu du Mouvement et de sa présence régulière dans les événements ».
[24] Première version, suite non retenue : « Cela pose question : de quelle nature devrait être une ACO de masse ? ».
[25] Aurélie. Journal d’une OS, Paris, Éditions ouvrières, 1979, 137 p.
[26] Première version : « ne devraient-ils pas, à leur niveau de responsabilités, avoir une démarche plus ouverte sur l’extérieur ? ».
Sources
L’état des recherches actuelles et les sources consultées ne permettent pas une étude plus systématique sur l’ACO en région stéphanoise (prosopographie des adhérents, implantation, évolutions, débats…). Ce travail s’appuie sur des sources transmises par le père Pierre Giron, aumônier de l’ACO depuis les années 1950 dans la région stéphanoise.
Une première série porte sur l’activité de groupes de l’ACO dans le bassin stéphanois durant les années 1970 et 1980. Celles-ci relatent actions et réflexions des militant·e·s durant des conflits du travail et la crise du bassin stéphanois. Elles sont constituées de tracts, correspondances et surtout comptes-rendus de réunions élargies ou restreintes, dans le cadre de comités de secteurs, relais ou d’assemblées de travailleurs. L’ensemble permet de mieux comprendre l’activité concrète de ces groupes, leur langage, inquiétudes, liens avec les milieux de vie, etc. En filigrane, se devine aussi l’attitude d’ouvrières et ouvriers chrétiens durant la période, mais également du reste des paroissiens.
Une autre série rassemble les comptes-rendus de réunions du Comité diocésain de l’ACO Loire-Yssingelais, soit l’instance dirigeante, pour les années 1950-1959 et 1970-1990. Ces comptes-rendus permettent de comprendre la vie de l’organisation, et de mieux saisir le sens de ses actions, ainsi que les analyses des événements réalisées à chaud.
Annexes
Les cinq documents suivants représentent des exemples de tracts diffusés par l’ACO, au cours des années 1970, dans la région stéphanoise par l’ACO. Nous avons conservé syntaxe et orthographe.
Document 1
Tract ACO secteur Vallée du Gier, dans le cadre du conflit J.-B. Martin, 24 décembre 1978
A.C.O. Vallée du Gier
Réunis à Grand’Croix le 24 décembre pour fêter Noël, nous, militants ouvriers de l’A.C.O. (Action Catholique Ouvrière) ne pouvons pas nous taire aujourd’hui à cause de Celui en qui nous croyons.
Avec une violence sans précédent, pouvoir et patronat agressent les travailleurs et leurs familles. Le jeudi 22 Décembre, nous étions parmi les travailleurs, avec nos organisations, pour manifester notre indignation devant des milices payées par le patronat à J.B.Martin.
Par leur action, dans l’unité, les travailleurs et la population ont permis que les ouvriers de J.B.Martin reprennent possession de leur outil de travail.
Dans leurs luttes, les travailleurs continuent à exprimer ce qu’ils refusent, ce à quoi ils tiennent. Plus que jamais des hommes et des femmes se provoquent à croire à la DIGNITE de l’homme, à Lutter et à AIMER.
Pour nous militants ouvriers, croyants en Jésus Christ, Dieu s’est fait homme, par amour des hommes. Aujourd’hui nous le recevons par des travailleurs, des hommes et des femmes de notre temps.
Tous ceux qui croient en l’homme ont droit à cette Bonne Nouvelle.
Le 24.12.1978
Document 2
Tract de l’ACO secteur Vallée du Gier, dans le cadre du conflit J.-B. Martin, janvier 1979
[Recto]
ACTION CATHOLIQUE OUVRIÈRE
DE LA VALLÉE DU GIER
Qu’est-ce que l’homme sans travail ?
Militants ouvriers, engagés dans diverses organisations syndicales, familiales, politiques, associations de parents d’élèves, rassemblés dans l’ACO, solidaires des camarades de JB Martin et de Marrel avec qui nous avons partagé, à cause de Celui en qui nous croyons, nous ne pouvons nous taire aujourd’hui.
LA SITUATION EST Intolérable :
– Fermetures d’usines : JB Martin – 18 mois d’occupation – intervention des milices… et liquidation de bien d’autres entreprises.
– 728 licenciements chez Marrel à Rive de Gier. Annonce de 154 licenciements chez Richier-Ford à l’Horme.
– Un nombre de chômeurs toujours croissant dans la vallée.
L’HOMme sans travail est mutilé – n’est plus lui-même !
[Verso]
Notre Foi en Jésus Christ ne nous permet pas de l’admettre.
Car cette situation joue sur son moral – sa santé, sa vie de famille – de couple.
Son avenir professionnel est compromis. « Entre mari et femme, c’est tendu ».
« Avec les difficultés d’argent, il n’y a plus de projet possible ».
Cette situation coupe des copains – paralyse – crée un climat de peur – favorise le racisme. Le Pouvoir l’entretient.
Cette situation résulte de la politique actuelle, nationale et internationale : la recherche du profit fait que l’on ne tient pas compte des hommes.
Les travailleurs tiennent – luttent – espèrent :
Leur espoir c’est :
– L’unité syndicale : « la Loire veut vivre et c’est possible » – 5000 personnes devant JB Martin le 22.12 [1978] – la solidarité Creusot-Loire du 10 janvier dernier.
– La confiance faite aux organisations syndicales et politiques.
– La prise de conscience de certains cadres et agents de maîtrise que tous sont concernés.
Leur espoir c’est :
– La participation des femmes à l’action.
– La place particulière qu’y prennent les jeunes.
Ce sont tous ces gestes de solidarité – d’amitié – de parage allant jusqu’à celui de l’argent.
Dans la lutte des travailleurs disent leur foi,
Avec eux nous la réaffirmons.
– En défendant notre dignité, nous défendons celle de nos camarades. Jésus Christ nous révèle jusqu’où va cette dignité : nous sommes aimés de Dieu. Il nous invite à vivre de cet amour et à construire, organiser le monde POUR l’HOMME.
– « Nous ne voulons pas que l’homme soit pris pour une machine ».
– « Nous voulons du travail pour avoir une vraie vie de famille ». Le Christ ne veut pas des hommes brimés. Il veut des hommes DEBOUT. Quand des travailleurs cherchent à comprendre ce qu’ils vivent. Quand ils luttent pour faire reconnaître leur Dignité, ils AIMENT, ils VIVENT de Jésus CHRIST.
– La classe ouvrière dans ses luttes connait des échecs mais sait les surmonter. Le Christ en a vécus lui aussi : il en est mort. Mais pour nous, militants ouvriers, croyants en Jésus Christ, il est VIVANT dans L’AMOUR qui fait VIVRE, LUTTER, TENIR, Espérer les travailleurs.
Janvier 1979
Document 3
Tract ACO, JOC, JOC-F et ACE, dans le cadre du conflit Manufrance, 1978
[Recto]
UNE LUTTE pour LA VIE
C’est devenu comme une habitude : chaque jour annonce pour un rand nombre de travailleurs un drame qui marquera leur vie, celle de leur famille, de l’entreprise, de la région : le chômage ou le licenciement.
Les membre de l’Action Catholique Ouvrière, de la J.O.C. et de la J.O.C.F. ainsi que de s chrétiens, parmi lesquels des prêtre et des religieuses, disent aux travailleurs :
– Nous sommes à part entière dans les organisations du mouvement ouvrier (principalement dans les organisations syndicales). À cet titre, nous luttons contre ce système qui écrase les travailleurs et leurs familles.
– Mais, nous dénonçons aussi au nom de notre foi en Jésus-Christ toutes les atteintes à la dignité des travailleurs.
Nous constatons aujourd’hui sur saint-étienne :
– que des milliers de travailleurs sont au chômage (7 982 en avril 78, selon le B.I.T. ;
– que des centaines de travailleurs ont reçu leur lettre de licenciement et que bien d’autres vivent dans l’angoisse, la crainte du chômage, ou du licenciement ;
– que la situation devient de plus en plus dramatique dans nombre d’entreprises dont on parle (Juste à Coudre, Lingerie Mail, Giron, Heurtier, Cogefom, Villard-Doron, Séfamec, S.G.E., Berthéas, etc.) et de nombreuses petites entreprises ont disparu ou disparaîtront sans bruit. Maintenant, avec Manufrance, c’est un des plus grosses réalités ouvrières qui est touchées ;
– que des familles vivent dans l’incertitude du lendemain ;
– que des jeunes sont chômeurs avant d’avoir travaillé.
Les conséquences sont énormes :
Le travailleur perd sa dignité
Il ne gagne plus sa vie. Il devient « un assisté ».
Il est un « pion sur un échiquier », utilisé au gré des besoins.
Les décisions qui concernent sa vie sont prises loin de lui et sans lui.
Le découragement et le fatalisme l’atteignent parfois.
Dans les familles, c’est l’insécurité, l’inquiétude financière, et toutes ses conséquences. Le foyer est ébranlé, perturbé.
Toute cette réalité pèse sur les enfants. Ils en souffrent eux aussi.
Chez les jeunes, c’est tout le gâchis de leurs compétences non reconnues, de l’école au travail.
Le dos au mur, les travailleurs se battent quand même
Contre la puissance de l’argent – contre le profit maximum.
Contre l’information manipulée, tronquée.
Pour la vie des entreprises, le maintien de l’outil de travail.
Pour de meilleures conditions de vie et de travail.
Pour une progression du pouvoir d’achat.
Pour la liberté et l’épanouissement de l’HOMME et de tous les hommes.
[Verso]
C’est là, pour nous, une espérance
Pour nous, Croyants, la valeur de l’Homme ne se mesure pas à sa rentabilité, ni à son rang social, ni à son argent.
Tout ce qui abîme l’Homme, le limite, le paralyse, le mutile,
Nous ne pouvons l’admettre
Car, pour nous, Jésus-christ, en qui nous croyons,
Nous provoque encore plus à lutter
Pour la dignité de l’homme.
Pour nous, lutter, c’est aimer.
Participer au combat de chaque jour,
c’est croire en l’Homme
c’est AIMER en actes, et non seulement en paroles.
Nous sommes témoins qu’une grand espérance existe
même au cœur des découragements et des silences,
parce que des hommes s’organisent et luttent collectivement,
parce que des hommes, des femmes, des jeunes, des enfants, dans des organisations de leur choix, luttent pour une société plus juste, dans laquelle « des hommes et des femmes POURRONT DIRE UN JOUR : J’aime mon travail, J’ai de quoi vivre, Je sers à quelque chose, J’aime la vie. » (Charte de la J.O.C.)
Nous affirmons qu’en luttant pour l’homme,
avec l’espérance qui nous anime,
nous répondons à l’appel de Jésus-Christ
Nous sommes de ceux qui luttent
L’Action Catholique Ouvrière, la J.O.C., la J.O.C.F. et l’A.C.E.
Saint-Étienne, 1978
Document 4
Des organisations catholiques prennent position dans le cadre du conflit Manufrance, novembre 1980
[Recto]
Action Catholique Ouvrière – Jeunesse Ouvrière Chrétienne – Jeunesse Ouvrière Chrétienne Féminine – Commission Monde Ouvrier de l’Action Catholique de l’Enfance – Prêtres Ouvriers – Religieuses au travail
Réprimés, opprimés,
nous sommes décidés à nous battre
POUR VIVRE
Depuis de nombreux mois nous assistons au niveau de l’information, à tout un étalage de mensonges, de contre vérités. Le patronat, le gouvernement essaient de faire croire aux Français, et plus particulièrement aux travailleurs, que la crise économique atteint tout le monde et qu’il faut faire encore des efforts pour s’en sortir.
Dans la région stéphanoise UN MASSACRE EST organisé
Nous vivons dans une société qui se charge de tout détruire, même l’homme : nous assistons depuis longtemps à un véritable massacre de toutes les énergies.
– de 1974 à aujourd’hui, le nombre de chômeurs a été multiplié par 4. Actuellement, 18 000 chômeurs à Saint-Étienne.
– des dizaines d’entreprises sont immédiatement menacées dans tous les secteurs et dans toutes es branches.
– Il y a Manufrance, ses 1 850 salariés, les 3 000 sous-traitants, et aussi ceux ou celles de Giron, Heurtier, Garin, Pequin, Creusot-Loire Marais, Francolam, chocolaterie de l’Union…
– Cela, dans un département sinistré où l’on approche les 40 000 chômeurs (12% de la population active).
Mais ce massacre organisé ne se fait pas sans provoquer des luttes, des combats acharnés et, bien sûr, des victoires qu’il faut préserver, car elles peuvent être remises en cause bien vite et récupérées par le pouvoir.
DES TRAVAILLEURS CONTINUENT à LUTTER
Des actions longues, dures ont lieu malgré bien des difficultés.
Les salariés refusent les licenciements, défendent leur outil de travail et l’emploi, exigent la réindustrialisation de leur région.
Malgré le poids de la crise, la répression, les divisions
Des travailleurs continuent à se battre
La peur de perdre son emploi, les inquiétudes pour l’avenir pèsent…
À ces difficultés s’ajoutent la division des partis de gauche, les divergences syndicales…
Malgré cela,
le seul ESPOIR c’est l’action collective
contre la puissance de l’argent, contre le profit maximum,
contre l’information manipulée, tronquée,
pour la vie des entreprises, le maintien de l’outil de travail,
pour de meilleures conditions de vie et de travail,
pour le maintien du pouvoir d’achat,
pour la liberté et l’épanouissement de l’HOMME et de TOUS LES HOMMES.
Ils expriment ainsi leur volonté de vivre, de travailler autrement
de Décider à Saint-Étienne,
de CONSTRUIRE L’AVENIR DANS LA LOIRE
C’est une lutte sans merci que mènent beaucoup d’hommes et de femmes contre la résignation, le fatalisme ou la massacre économique.
Résister ainsi durant sa vie relève d’une volonté de vivre, de prendre ses responsabilités ensemble, avec d’autres, pour que l’Homme ait la première place dans l’échelle des valeurs.
Militants ouvriers chrétiens appartenant à diverses organisations syndicales ou politiques,
nous pensons que :
– Vivre ainsi, mener ce combat, c’est participer au projet de Dieu sur le monde. L’homme est créé pour soumettre la terre, la dominer, et non pour que des hommes en asservissent d’autres. L’homme est fait pour construire, pour faire du neuf et non pour démolir ou saccager.
– Croire aujourd’hui en l’homme, croire en Jésus-Christ, c’est croire qu’il y a encore espoir et avenir pour tous ceux qui veulent que l’amour soit plus fort que la haine et la division.
– Notre foi est aujourd’hui interrogée par la vie des hommes, par leurs combats. Elle nous appelle à tout mettre en œuvre pour que l’homme soit respecté – dans sa liberté, sa dignité. C’est cette volonté qui nous fait nous reconnaître enfants d’un même Père.
C’est une lutte pour la vie
[Verso]
Nous somme de ceux qui luttent
Nous affirmons qu’en luttant pour l’homme,
avec l’espérance qui nous anime,
nous répondons à l’appel de Jésus-Christ.
C’est au cœur de cette résistance, au plus fort de la lutte, que les questions nous assaillent :
– La VIE a-t-elle encore un SENS ? Quelles répercussions sur les jeunes, les enfants, les familles ?
– Quelles sont aujourd’hui nos raisons d’Espérer ?
– Comment nos CONVICTIONS pour nous NOTRE FOI, sont mises à l’épreuve, interpellées.
Pour partager cette recherche
nous INVITONS LES TRAVAILLEURS
à l’une ou l’autre de ces rencontres :
Le jeudi 4 décembre [1980], 20 heures, au local de JOC-JOCF, 24 rue de la république, Saint-Étienne ; à Valbenoîte, 6 rue des Passementiers
Le vendredi 5 décembre {1980], 20 heures, au centre paroisssial de Montreynaud, 25 rue Gounod ; à la Marandinière, au sous-sol de l’église boulevard Karl Marx
Saint-Étienne, novembre 1980
Document 5
Tract d’organisations catholiques, avril 1972
[Page 1]
Des chrétiens engagés dans le mouvement ouvrier
S’interrogent
Sur la situation économique de la Loire
Ce que vit aujourd’hui le monde ouvrier
et que nous connaissons tous plus ou moins :
à Saint-Étienne, et dans les vallées du Gier et de l’Ondaine, dans le Forez, dans le Roannais,
Partout :
« On peut évaluer à 9 000 le nombre de personnes à la revherche d’un emploi dans le département de la Loire où le taux de chômage est près de deux fois plus élevé que celui de la région Rhône-Alpes. »
(manifestation intersyndicale, à Saint-Etienne, pour le plein emploi, le 6 avril 1972.)
Des milliers d’emplois disparaissent : (près de 6 000, au cours des 6 dernières années).
Fermeture prochaine des houillères,
Crise du textile avec fermeture d’entreprises et réduction d’horaires,
Disparition d’emplois à EDF, dans la chapellerie, le bâtiment…
Des concentrations et restructurations d’entreprises,
Ce qui entraîne :
De nouvelles méthodes de travail et de calcul des temps : ex. : conflit des Forges Stéphanoises…
Des mutations de travailleurs, des arrêts d’embauche, des baisses d’horaires : Textile, Richier, EDF, SNCF, Creusot-Loire…
Inquiétude pour l’avenir en ce qui concerne la sidérurgiue fine, avec le démarrage du complexe sidérurgique de Fos-sur-Mer, prévu en 1974.
Des licenciements collectifs :
Papeterie Navarre, entreprise Gevarm, Noirard, Simeto, Robert… et des petites entreprises de sous-traitance qui ferment.
Manque de débouchés pour les jeunes sortant de l’école,
Particulièrement le personnel féminin.
Refus d’embauche des débutants : cf. Petites Annonces : « Débutants s’abstenir ».
Dans les milliers de chômeurs de la Loire, forte proportion de jeunes.
À côté de cela, on voit se multiplier les entreprises de travail temporaire, qui n’offre aucune garantie de l’emploi.
Les travailleurs de la loire sont inquiets pour l’avenir :
Où sont les industries nouvelles ?
[Page 2]
En tout cela, que devient l’homme ?
ce que nous vivons plus ou moins, et que nous constatons dans le monde ouvrier.
– Il vit au jour le jour, sans pouvoir prévoir son avenir, dans la peru du lendemain. Les décisions qui concernent sa vie son prises par d’autres, loin de lui et sans lui.
– Il suit le marché du travail : jeune ou adulte, il prend ce qu’il trouve, même si ce n’est pas sa qualification. Il passe d’une région à une autre, d’un pays à un autre, au gré des implantations industrielles, et au détriment de sa vie de famille, et particulièrement de ses enfants, qui subissent l’instabilité dans leur vie scolaire, une ambiance tendue à la maison, mais qui ne subissent pas passivement… Beaucoup de parents seraient stupéfaits, s’ils savaient à quel point les enfants partagent leurs soucis, sont solidaires, et en parlent entre eux.
– il est sans cesse contraint à produire plus. De nouvelles méthodes de travail sont imposées plus ou moins habilement. Les primes deviennent des moyens de concurrence entre les hommes et entre les équipes. La promotion individuelle est présentée comme seul moyen de s’en sortir, au mépris de la solidarité.
– Il est souvent écœuré dans le travail qu’il fait : travail parcellaire, travail mal organisé…
– Il renonce à chercher la vérité dans les bruits qui circulent sur l’avenir de l’entreprise, sur le chômage, réel ou voulu, devant l’information qui le rassure ou lui permet de s’évader.
– Il voit que les gros mangent toujours les petits et qu’il n’aura pas raison : « ça a toujours été comme cela dans le passé ! ». Même les organisations ouvrières sont parfois impuissantes : la répression patronale est souvent renforcée par cette situation de sous-emploi.
– Il constate que le pouvoir d’achat de sa famille diminue, que le crédit devient une nécessité contraignante. L’argent prend une importance démesurée : Seuls, ceux qui ont de l’argent sont bien vus dans la société.
Tout cela, nous le vivons tous plus ou moins, mais c’est encore plus vrai pour certaines catégories de travailleurs : les handicapés, les plus de 50 ans, les ruraux ouvriers, les immigrés.
On veut que l’HOMME DEVIENNE BON PRODUCTEUR ET GROS CONSOMMATEUR.
Pour nous, croyants :
La valeur de l’homme ne se mesure pas à sa rentabilité, ni à son rang social, ni à son argent.
Tout ce qui abîme l’homme, le limite, le paralyse, NOUS NE POUVONS L’ADMETTRE, parce que le respect de la dignité de tout homme est inséparable de notre foi en Jésus-Christ.
« Tout ce que vous n’avez pas fait au plus petit de mes frères, c’est à MOI, que vous ne l’avez pas fait » Jésus, dans l’évangile.
[Page 3]
Mais l’homme se met debout
– à travers tous les gestes de fraternité et d’amitié, dans la vie quotidienne, de la part d’hommes, de femmes, de jeunes, d’enfants dont on ne parle pas ; à travers les qualités et les sacrifices souvent cachés des femmes des milieux populaires.
– à travers une sagesse, un bon sens populaire, qui refuse la civilisation matérialiste.
– Quand i s’informe sur les véritables causes de la situation actuelle malgré le conditionnement de la presse et de la télé.
– Quand il dit ce qu’il pense.
– Quand il joue à fond le jeu de la solidarité, en faisant passer en premier les intérêts de tous et en participant à l’action collective.
– Quand il refuse de faire des heures supplémentaires, au moment où il y en a qui chôment.
– Quand il considère l’étranger comme un frère, comme valant autant que lui.
– Quand il ale courage de prendre des responsabilités dans les organisations ouvrières, et de rester fidèle au choix, malgré les sollicitations, les risques et les critiques.
– Lorsque dans les organisations syndicales, familiales, politiques, nous dépassons nos divergences légitimes pour mener le même combat.
À travers tous ces gestes, NOUS NOUS Réjouissons :
C’EST L’HOMME QUI GRANDIT
Le meilleur du cœur de l’homme apparaît
Il devient plus ressemblant à Dieu
« En redonnant à l’homme sa dignité, l’action du mouvement ouvrier rend l’homme plus ressemblant à Dieu dont il est l’image. » (A.C.O.)
C’est le progrès qui se fait, un peu mieux, au service de tous.
« Le gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long des siècles, s’acharnent à améliorer leurs conditions de vie, correspond au projet de Dieu. » (Concile, église dans le monde/34)
Ce sont, pour aujourd’hui, des signes de l’homme vivant d’une vie nouvelle
des signes déjà exprimés par Jésus :
« Les aveugles voient, les boîteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Évangiles).
Dieu veut des hommes debout
[Page 4]
C’est dans un combat Que l’homme devient libre
Un tel s’impose au monde ouvrier, s’il veut vivre en homme.
Combat mené contre les puissances internationales d’argent
Dans ce qui est appelé « planification », l’état favorise le libéralisme : de fait, les groupes financiers construisent ou déplacent des industries avec ou sans les Pouvoirs Publics, au nom du seul profit. Ce sont eux qui, en définitive, planifient. En décidant de l’implantation des entreprises, ce sont eux qui décident de notre lieu de travail.
Ex. : Ugine-Kulhmann à Fos-sur-Mer, ce qui aura des conséquences pour notre région.
Ce système (le capitalisme international)
– c’est le pouvoir exclusif donné à l’argent, péché dénoncé tout au long de l’évangile.
– c’est l’idéologie libérale contre laquelle le Pape met en garde parce que :
« elle exalte la liberté individuelle et affirme qu’elle est sans limite ; elle pousse chacun à la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance ; elle se refuse à considérer la solidarité comme un but et un critère majeurs de la valeur de la société. » (selon la lettre de Paul VI sur la responsabilité politique des chrétiens, 14 mai 1971).
Ce système oblige l’homme à courir après l’argent, de telle manière qu’il aimera l’argent plus que ses frères.
De cet homme là, NOUS NE VOULONS PAS.
De ce système là, NOUS VOULONS libérer l’homme.
Combat mené en nous-mêmes, pour un homme nouveau
Tout n’est pas pur en nous et dans la classe ouvrière : division, oubli des catégories plus défavorisées, racisme…
La transformation que nus voulons, c’est un changement de système, de structures, mais c’est surtout une transformation de mentalité.
Nous voulons un homme, « qui puisse aimer et être aimer, être respecté, libre, et responsable, qui puisse créer, trouver un sens à sa vie, en découvrant sont Créateur (J.O.C., avril 72, n°68).
De cet homme là, que nous sommes appelés à être, nous croyons que jésus-christ est le libérateur :
« Je suis venu pour que les hommes aient la VIE, EN ABONDANCE.) (Évangile)
Nous qui lisons ces lignes : pour que cet « HOMME NOUVEAU » puisse grandir :
Sommes-nous prêts à écouter ce cri de dignité.
Sommes-nous d’accord :
pour changer quelque chose dans notre manière de vivre et d’agir ?
pour PRENDRE NOTRE PLACE dans l’action collective ?
« Que chacun s’examine
pour voir ce qu’il a fait et ce qu’il devrait faire.
Il ne suffit pas de rappeler des principes,
d’affirmer des intentions,
de souligner des injustices criantes,
et de proférer des dénonciations prophétiques.
Ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun
D’une prise de conscience plus vive de sa responsabilité, et d’une action effective. » (Lettre de Paul VI.)
Saint-Étienne, Avril 1972
Le Conseil Diocésain de Mission Ouvrière en lien avec l’évêque
(ACO – JOC-F – ACE – prêtres et religieuses.)