Je vous propose de feuilleter ensemble un document trouvé dans un grenier, un registre toilé noir de 20 x 30, portant l’étiquette :
SOCIÉTÉ DE SECOURS MUTUELS
des Ouvriers et Employés de la Cie des Mines de la Haute-Cappe et de ceux de la Concession de la Montagne de Feu
Registre des Procès-Verbaux. Imprimerie Messanière, Grand-Croix
Il m’a été prêté par des descendants de Pétrus Tourton (1884-1936), syndicaliste de la CGT Unitaire des mineurs dont une rue de La Grand’Croix porte le nom depuis décembre 1936. Il récapitule les comptes rendus des réunions du conseil d’administration de la Société de Secours ainsi que les résultats aux élections annuelles de ses membres, du 26 septembre 1925 jusqu’au 3 février 1931 où il acte sa dissolution en raison de l’arrêt de l’exploitation minière. Sur cette courte période, sont décrites la nature des aides apportées ou parfois refusées aux sociétaires mais aussi les démarches auprès du corps médical pour renforcer la cohérence et la complémentarité des soins. Ces réponses au quotidien donnent un aperçu vivant de la Sécu d’avant La Sécu.
La Société anonyme des mines de la Haute-Cappe a été fondée en 1893 pour exploiter une concession située sur les communes de Saint-Genis-Terrenoire (aujourd’hui Genilac), Rive de Gier et Lorette. En 1898, elle amodie d’autres concessions voisines sans grand succès. En 1902, la découverte d’une couche de houille de 9 mètres d’épaisseur lui permet de renouer avec la prospérité. Entre 1917 et 1925, elle dégage un bénéfice annuel moyen de 200000 francs dont elle distribue le quart aux actionnaires qui voient leurs titres rémunérés entre 5 et 6,5%. La situation se dégrade en 1926 : la production chute brutalement et les pertes se creusent. En 1929, elle compte 186 employés contre plus de 500 en 1924 et doit recourir à une augmentation de capital pour éviter la faillite. Ce n’est qu’un sursis, elle est dissoute le 27 décembre 1930.
Des sociétés de secours mutuel sont apparues dès le 17ème siècle dans certaines corporations mais elles se développent au 19ème avec l’essor industriel et minier : le 2 juin 1817, une ordonnance crée la Caisse de secours des Mines de Rive-de-Gier. D’abord financées par les exploitants, les propriétaires du sol et l’État avant de l’être par les compagnies minières et les mineurs sous le Second empire, elles interviennent, lors des accidents nombreux et meurtriers, pour les secours aux blessés et à leurs familles et pour les funérailles des victimes décédées. Mais les mineurs qui dénoncent l’insuffisance des aides et l’évaluation restrictive des blessures revendiquent un droit de regard sur la gestion de ces organismes qui se développent parallèlement aux premières organisations préfigurant les syndicats.
Sous la Troisième République l’industrialisation et l’exploitation des mines s’intensifient et les accidents sont de plus en plus nombreux et meurtriers. Au 19ème, quatre catastrophes majeures endeuillent le Bassin de la Loire :
- Le 8 novembre 1871, 70 morts au puits Jabin (concession de Terrenoire).
- Le 4 février 1876, toujours au puits Jabin, on compte 186 morts.
- Le 3 juillet 1893, 207 mineurs sont tués au puits Verpilleux à Saint-Etienne.
- Le 28 juillet 1890, 113 meurent au puits Pélissier (Villeboeuf) à Saint-Etienne.
Les revendications portant sur la sécurité, les salaires et la protection sociale se renforcent : la Fédération Nationale des Mineurs est créée en octobre 1883. De leur côté, les caisses de secours se multiplient et se développent. La dernière décennie du siècle voit l’adoption de plusieurs lois relatives au travail dans les établissements industriels dont trois concernent la mine et les mineurs :
- Le 8 juillet 1890 la loi sur les délégués à la sécurité des ouvriers-mineurs des chantiers souterrains est adoptée. Les délégués seront désormais élus par leurs pairs.
- Le 2 novembre 1892, la loi sur le travail des enfants, des filles et des femmes dans les établissements industriels est votée. Elle s’applique à toute l’industrie mais les compagnies minières sont concernées au premier chef.
- Le 28 juin 1894, la loi sur les caisses de secours et de retraite des ouvriers mineurs apporte une réponse à une des plus vieilles revendications de la profession. Elle est modifiée par la loi du 19 décembre de la même année.
Les caisses de secours, dorénavant financées par un prélèvement de 2% sur les salaires des ouvriers et employés et par un versement égal de l’exploitant, bénéficient en outre de subventions de l’État. Elles peuvent percevoir des dons et legs et le produit des amendes pour non-respect des statuts ou du règlement intérieur de l’entreprise. Elles sont habilitées à fixer la nature et la quotité des soins à donner aux sociétaires que la maladie ou des infirmités empêchent de travailler, en cas de décès elles déterminent le montant de l’aide allouée à la famille… Elles sont gérées par un conseil d’administration d’au moins neuf membres dont six élus par les ouvriers et employés, renouvelables par tiers chaque année et trois désignés par l’exploitant. Les rôles se partagent entre les Compagnies qui développent des services sanitaires et sociaux (hôpitaux, dispensaires, cités minières…) et les Caisses de secours et de retraite, en charge des aspects de sécurité sociale (retraites, assurance maladie, accidents du travail, allocations de décès et prestations familiales).
La Société de Secours Mutuels des mines de la Haute-Cappe est organisée selon ce modèle. Le registre rend compte de 34 réunions du conseil d’administration : 26 sont dites ordinaires et six générales. Les réunions générales font suite aux élections annuelles pour le renouvellement partiel des administrateurs et de leurs suppléants ; on y procède à l’élection du nouveau bureau. Il faut ajouter deux réunions extraordinaires : la première le 14 janvier 1928 pour examiner le déficit de la Société et décider d’un prélèvement de 10000 francs sur les fonds de réserve déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations, la seconde en 1929 pour l’examen d’une demande d’aide urgente. De 1925 à 1931, le président est Pétrus Tourton, élu ouvrier alors qu’un représentant de la Compagnie occupe la vice-présidence.
Le conseil d’administration examine les demandes de secours exceptionnels, souvent pour des médicaments mais aussi pour des consultations spécialisées, des examens radiologiques, des actes chirurgicaux, des hospitalisations, des cures voire des séjours à la campagne. La caisse peut aussi intervenir pour des frais de funérailles pour des sociétaires particulièrement nécessiteux. Les sommes allouées pour ces aides sont de l’ordre de cinquante à cent cinquante francs. Elle peut prendre en charge l’indemnisation pour une durée limitée, d’adhérents ayant épuisé leurs quatre mois de congés pour maladie ou le défraiement de ceux qui sont rappelés par l’autorité militaire pour une période de réserve. Elle verse des avances à ceux qui, admis à la retraite pour invalidité, sont en attente de la liquidation de leur pension, les sommes versées étant remboursées ultérieurement par la caisse de retraite. La Société de secours est également habilitée à négocier des tarifs préférentiels avec des praticiens (médecins, radiologues…) qui servent de base au montant des aides. Les adhérents disposent également de « bons de consulte » qui en 1927 ouvrent droit à huit consultations par an et à la gratuité des médicaments pour eux-mêmes et leurs familles. L’année suivante, des abus et des difficultés de trésorerie font revoir le système à la baisse, la prise en charge des médicaments est réduite à 50%.
Jusqu’au début de 1927, la situation financière est saine et plusieurs versements d’excédents sont effectués à la Caisse des Dépôts et Consignations. A partir de 1928, elle se détériore du fait de la chute du nombre de cotisants liée aux réductions d’activité et d’effectifs préludant à l’arrêt et à la dissolution de la Société anonyme des mines de la Haute-Cappe. Les procès-verbaux d’élections témoignent de la brusque dégradation : 451 inscrits en 1925, 243 en 1928 et 72 en 1930. Le 7 janvier 1931, le conseil d’administration de la Société de Secours, conformément à l’article 36 de ses statuts, décide à l’unanimité la dissolution de cette dernière.
Les informations qu’apporte ce registre sont certes fragmentaires et ne permettent pas de retracer l’historique de la Société de Secours. Elles illustrent cependant la volonté des mineurs d’affirmer leur dignité et de préserver leur vie et celle des leurs familles. Comportant peu d’informations médicales, elles ne permettent pas de dresser un tableau précis de la situation sanitaire. On note sans surprise que les troubles respiratoires sont les principaux pourvoyeurs de soins mais que les pathologies de l’appareil digestif sont également très présentes. Ces observations en corroborent d’autres effectuées dès les années 1880 : malgré les progrès des techniques d’exploitation et les avancées thérapeutiques, le travail au fond génère toujours de nombreuses maladies invalidantes. Elles interrogent également sur la nourriture, sa disponibilité et sa qualité, et sur la place qu’occupe alors le vin dans les habitudes alimentaires des travailleurs de force, notamment dans les mines.
Henry Destour
Mars 2021
Bibliographie et sources :
- Fournel Rolland, Compagnies minières et mineurs du Gier, 1750-1950, Saint-Barthélémy-Lestra, Actes graphiques, 2017, 316 p.
- Cherrier Claude, Michel Rondet. Biographie, Saint-Étienne, Action graphique, Musée de la Mine de Saint-Etienne, 1993, 161 p.
- Philibert Maurice-Jean, Pétrus Tourton, 1884-1936 in « Au fil de l’Histoire », Site de La Grand’Croix, sd.