Avec la dernière publication de son bulletin Saint-Étienne Histoire & Mémoire, l’association « Histoire et Patrimoine de Saint-Étienne » nous livre un dossier sur « Saint-Étienne et sa vie militaire » (n° 278-279, septembre 2020).
L’article signé de Serge Marcuzzi « Les raisons d’une présence militaire à Saint-Étienne » est des plus intéressants, notamment parce qu’il reproduit de larges extraits de la déclaration faite par le maire Peyret-Lallier, devant le conseil municipal du 14 mars 1832. Un texte rarement cité et ici fort bien contextualisé. Nous y renvoyons les lecteurs, nous limitant à citer ce court – et significatif – extrait : « … l’émeute du 3 mars 1831[1], réprimée par le courage et les efforts de la garde nationale a fait sentir la nécessité d’une garnison permanente ».
On ne peut que déplorer que les différents historiens ayant étudié le bassin stéphanois n’aient jamais davantage développé cet aspect de la « vie militaire » stéphanoise : l’utilisation des forces armées pour la répression des mouvements sociaux. Il y a plus de 60 ans, Pétrus Faure en donna plusieurs exemples. Les incidents les plus graves – ayant entraîné plusieurs morts parmi les grévistes – se sont souvent produits lorsque les troupes devaient accompagner des ouvriers arrêtés, à pied, parfois sur plusieurs dizaines de kilomètres, jusqu’à la prison de Saint-Étienne. Ainsi pendant la grève des mineurs de Rive de Gier en 1844, ou celle des mineurs d’Outre Furens en 1846[2]. L’événement le plus mémorable fut la fusillade qui éclata à La Ricamarie, au lieu dit le Brûlé, le 16 juin 1869[3].
Si l’infanterie était à la manœuvre lors de ces différents épisodes, dans le dernier tiers du XIXe siècle on mobilisa plutôt les gendarmes et les dragons. En 1871-1872, dans le contexte répressif qui suivit la Commune, il y avait urgence pour les notables stéphanois et le préfet : la moitié des délibérations de la commission municipale nommée par le préfet concernant les bâtiments communaux porta sur des constructions de casernes (gendarmerie ou cavalerie).
Alors que revues et défilés qui « agrémentent les rues stéphanoise », prises d’armes « suivies par un nombreux public », apparaissent comme des aspects sympathiques de la « vie militaire » à Saint-Étienne ; maisons de tolérance (on en compte douze autour de la caserne Rullière), débits interlopes, maladies vénériennes en sont des conséquences plus occultées[4].
Le numéro du Bulletin s’ouvre par une photographie du 14e Dragon traversant la place Marengo le 1er août 1914. Quelques années auparavant, le 4 janvier 1900, ce même régiment – assisté de gendarmes à cheval – s’était distingué, sur cette même place, en réprimant durement une manifestation de passementiers. La scène – à laquelle assista Jean Jaurès – eut droit à la couverture du Journal Illustré du 14 janvier 1900[5].
Jean-Michel Steiner
[1] Il s’agit d’un épisode de type « Luddite ». Le fabricant de canon Girardet, établi rue des Rives, ayant fait l’acquisition d’une machine, les ouvriers canonniers saccagèrent ses ateliers. Voir Pétrus Faure, Histoire du mouvement ouvrier dans la Loire, Saint-Étienne, Imprimerie Dumas, 1956, p 109 & 110.
[2] Idem, p. 124 à 135.
[3] Idem, p. 124 à 178.
[4] Voir l’article de Christian Sigel, « Saint-Étienne ville de garnison », p. 3 à 18.
[5] Voir Brigitte Carrier-Reynaud, L’industrie rubanière dans la région stéphanoise (1895-1975), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 1991, ch. IV, p. 90 à 106 ; ainsi que sous la direction de Gérard Lindeperg Jaurès dans la Loire, Sayat, De Borée, 2013 ; Gérard Lindeperg et Jean Michel Steiner, Jaurès stéphanois, Saint-Étienne, Actes Graphiques, 2015. La couverture du Journal Illustré est un document conservé par les Archives municipales de Saint-Étienne.