Ce qui suit s’inspire largement d’un entretien que Riza Shatrafil nous avait accordé les 14 et 15 décembre 2010 et reprend les photos publiées dans Bedoin Maurice, 1948, la grève des mineurs du bassin de la Loire. L’histoire en partage, Saint-Barthélémy-Lestra, Actes Graphiques, 2017.
Des racines albanaises
Son père Muharen, agriculteur dans un village des montagnes d’Albanie, avait été embauché en 1924 par des recruteurs des Houillères qui lui promettaient le travail, le logement et une sécurité médicale. C’est ainsi qu’il vint à Roche-la-Molière pour gagner sa vie, y vécut seul, même après son mariage, car son épouse préférait rester en Albanie pour cultiver les terres. Elle ne voyait son mari que de rares fois, pour les congés. Puis elle vint s’établir en France en décembre 1937, avec le petit Riza, né en janvier 1934. Trois autres garçons naquirent ensuite à Roche-la-Molière, Qui auront tout naturellement la nationalité française.
En 1948, la famille habitait en bordure de la Côte – Durieux, dans la maison Gardan, adossée à la colline, d’une insalubrité rare, avec des murs suintant l’eau. À la maison, les parents parlaient albanais, alors que Riza apprend le français à l’école. Jamais la famille ne se sentait autant albanaise que lorsque l’ambassadeur en France et Belgique venait célébrer la fête de la libération de l’Albanie, le 29 novembre de chaque année. Le diplomate se déplaçait dans les familles, s’arrêtant chez Shatrafil et chez les autres ressortissants. C’était l’occasion de parler albanais et d’échanger les nouvelles. La maman préparait des spécialités du pays très appréciées par l’ambassadeur. La fête qui avait lieu à Firminy réunissait 150 à 200 personnes venues de Savoie, de Haute-Savoie, de l’Isère… On dansait, on écoutait des chants, on mangeait, on buvait du raki. Après les discours était projeté un film en albanais.
À presque 15 ans, la grève est vécue comme un terrain d’aventure
Le Puits Dolomieu
Après le 18 octobre 1948, Roche – la – Molière subit le régime d’une ville occupée. Les militaires, qui ont établi leur campement au Puits du Crêt, à la limite de Roche et Saint-Genest-Lerpt, défilaient dans les rues. Les « garagnas » de la Côte Durieux choisirent de les persécuter. Ils leur tendent des guet – apens dans les rues, dans les cités, pour disparaître ensuite à toutes jambes. Riza se souvient d’une nuit où, tapis dans les buissons, ils ont cassé à coup de cailloux les lampes de la garnison pour pouvoir s’approcher encore plus près. Apeurés, les bidasses qui avaient allumé un feu de camp pour faire cuire la soupe, l’ont immédiatement éteint avec des bidons. Le retour fut moins glorieux : les « garagnas » furent arrêtés par une patrouille de CRS. Un jeune CRS les détaille de la tête aux pieds avec sa lampe. Le grand Manet du haut de ses 2 m et de sa voix caverneuse obtient que tous puissent repartir sans être interpellés…
Extrait du livre des condamnations du Tribunal pour enfants. ADL
Un gosse en Centre de redressement
Au centre de redressement, Riza rencontra 7 ou 8 adolescents, arrêtés eux aussi pour leurs agissements durant la grève. Le 2 décembre, défendu par Me Perret, il est jugé au tribunal correctionnel de Saint-Étienne. Il allait avoir 15 ans, un mois plus tard, en janvier. La séance fut très rapide :
« On s’est assis, le tribunal a rapporté les faits, le juge a demandé à mon père ce qu’il avait à dire, Muharen a répondu très intimidé : “Je suis venu en France pour travailler, pas pour faire de la politique”. Me Perret s’est exprimé brièvement. Levez-vous ! Peine de prison de 1 mois avec sursis. Vous pouvez partir ! ».
Riza est ainsi reparti libre, son père le cœur léger, car il redoutait d’être expulsé.
Un militant communiste déterminé
Quelques années plus tard Riza est devenu un militant communiste. Au début de l’été, il part avec un militant plus âgé, déjà aguerri, son voisin Joseph Sanguedolce. Il s’agit d’une expédition nocturne pour aller peindre sur le gazomètre du puits Dolomieu, le slogan : « libérez Duclos ».
En juin 1952, le PC dans une phase activiste, a organisé une manifestation contre la venue à Paris du général Ridgway qui a tourné à l’émeute avec plusieurs morts, de nombreuses arrestations, et des perquisitions dans les locaux du parti et aux domiciles des dirigeants. Jacques Duclos a été arrêté alors que son chauffeur le conduisait chez lui. Dans sa voiture on retrouve des pigeons vivants, destinés à la cuisson. Il n’en faut pas plus à la police pour l’accuser d’espionnage et au parti pour lancer une campagne sur le thème du complot … des pigeons. Et il se retrouve en prison pour plusieurs semaines.
Le gazomètre avec son slogan « Libérez Duclos » (Archives personnelles Riza Shatrafil)
Maurice Bedoin