27 janvier 1946 – Une campagne de la JOC stéphanoise en faveur de la santé ouvrière

« Voir – juger – agir ». Cette célèbre formule est associée, depuis la fin des années 1920, à la démarche des membres de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et de la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOC-F)[1]. Ces trois termes simples exposent une méthode d’éducation populaire, que les jeunes militants d’action catholique sont appelés à mettre en œuvre dans leur engagement au service de l’évangélisation du monde ouvrier, et au-delà de l’émancipation de la jeunesse ouvrière. Ils sont appelés à mieux connaître leur milieu de vie et ses habitants, à l’aune d’enquêtes sociales menées sur le terrain. Les thématiques retenues pour ces études concernent les conditions d’existence, économiques et morales, des populations ouvrières. Elles peuvent être déterminées localement, comme faire l’objet de campagnes lancées à l’échelle nationale.

Dans cette optique, l’observation précède l’analyse, et cette dernière motive alors une action raisonnée. Elle peut demeurer une action sociale, propre aux incarnations locales de ces organisations (sections, fédérations) ou en lien avec d’autres mouvements d’inspiration chrétienne, en premier lieu la Ligue ouvrière chrétienne (LOC), devenue le Mouvement populaire des familles (MPF) en 1941, une prolongation familiale de l’action catholique spécialisée. Elles peuvent aussi prendre la forme de revendications, adressées par les militants aux acteurs politiques de leur territoire, municipalités en tête. Les difficultés matérielles survenues au cours de la Seconde Guerre mondiale, puis à la suite de la Libération, motivent de nombreuses adresses de ce type. Elles cherchent souvent, mais pas exclusivement, à obtenir un engagement financier des collectivités territoriales en faveur de l’amélioration des équipements collectifs destinés aux populations.

Un dossier conservé aux Archives municipales et métropolitaines de Saint-Étienne nous donne un aperçu pertinent sur la mise en œuvre locale d’une campagne d’étude de dimension nationale. Lancée au second semestre de l’année 1945, une fois le conflit achevé, celle-ci porte sur la thématique de la santé de la population française en général, et de la jeunesse ouvrière en particulier. Cette problématique n’est pas inédite dans la pratique d’enquêtes empiriques de la JOC et de la JOC-F. La situation nationale, entre destructions et pénuries, justifie parfaitement ce choix.

 

Jeu scénique, en forme de défilé, des congressistes réunis au vélodrome de Saint-Étienne à l’occasion du XVe anniversaire de la JOC, 21 juin 1942 (collection Germaine Bel).

 

De la campagne nationale au travail local

Les deux organisations espèrent trouver une oreille attentive à leurs analyses et revendications, non seulement au sein des municipalités élues en avril-mai 1945, mais aussi au sein du Gouvernement provisoire de la République française. En effet, le ministre de la Population du deuxième gouvernement De Gaulle (novembre 1945-janvier 1946) est alors le député nordiste et cofondateur du Mouvement républicain populaire (MRP) Robert Prigent (1910-1995). Membre, au titre de l’assemblée consultative d’Alger, de la commission chargée de la préparation du plan de sécurité sociale, matérialisé par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, il est aussi un ancien permanent national de la JOC, puis de la LOC dont il a initié, avec d’autres dirigeants, la transformation en MPF[2].

Prigent conserve le portefeuille de la Santé publique et de la Population dans le gouvernement Félix Gouin, nommé le 26 janvier 1946. Sans connaître la chronologie exacte de la campagne nationale lancée par la JOC et la JOC-F[3], la coïncidence entre le choix de cette thématique traditionnelle des enquêtes jocistes, la situation sanitaire de la France de la Libération et la présence d’un allié du mouvement à la tête du ministère dédié aux enjeux de santé publique n’a sans doute rien de fortuit. Elle motive sans aucun doute un important travail de veille et d’expertise afin de mieux orienter la fabrication des politiques publiques et leurs modalités d’application.

Les sections et fédérations JOC et la JOC-F de Saint-Étienne, particulièrement actives au cours de la guerre et de l’Occupation, ne relâchent pas leur engagement une fois la région libérée[4]. Après avoir consacré leurs efforts à différents sujets, comme le statut de la jeune travailleuse ou l’orientation professionnelle, les militants s’investissent à l’automne 1945 dans la campagne sur la santé initiée par leurs directions nationales. Afin de donner forme aux nombreuses observations réalisées depuis plusieurs semaines, une journée d’études est prévue pour le dimanche 27 janvier 1946, au sein du Foyer populaire de Valbenoîte[5].

 

« Une grande manifestation ouvrière à la bourse du travail de St-Étienne », article paru dans L’Éveil de la Loire, 29 octobre 1944

 

L’appel fait aux autorités

Pour les jocistes, il est important d’associer les principales autorités de la région à ses réflexions. La fédération JOC de Saint-Étienne invite ainsi, par l’intermédiaire de son président Lucien Égaud (1925-2019)[6], le maire de Saint-Étienne, à l’époque Henri Muller (1878-1955)[7], à assister aux travaux. Ce dernier accepte le principe d’une participation d’un membre de l’équipe municipale, à défaut d’être présent lui-même, que ce soit par incompatibilité d’emploi du temps ou par préférence personnelle. Il délègue ainsi son troisième adjoint, Henri Bergeret (1897-1982)[8]. Cette personnalité de premier plan au sein des milieux catholiques stéphanois apparaît, par ses différents engagements (MRP, CFTC, Secrétariat social[9], etc.), comme le représentant idéal d’une municipalité unissant notamment communistes, socialistes et démocrates-chrétiens.

La fédération JOC semble avoir effectué une démarche similaire auprès du conseil général de la Loire, de la préfecture et de l’archevêque de Lyon. C’est en tout cas l’explication la plus plausible à la présence, signalée par l’article de l’hebdomadaire catholique L’Éveil de la Loire, de Jean Pralong (1899-1992), adjoint (Jeune République) au maire de Saint-Étienne et conseiller général du canton de Saint-Héand, de Marie-Pauline Roure (1897-1976), chef de division à la préfecture, et d’Étienne-Marie Bornet (1882-1958), vicaire épiscopal pour l’archidiaconé de Saint-Étienne, autrement dit évêque auxiliaire[10]. Cette présence doit renforcer la publicité des travaux vis-à-vis de la population, ainsi que le poids des revendications futures auprès des pouvoirs publics.

 

« L’activité de la JOC. Une importante session en faveur de la santé ouvrière », L’Éveil de la Loire, 3 février 1946

 

Des sessions de travail aux revendications

La journée du 27 janvier 1946 s’organise en deux temps. La matinée s’ouvre par quatre commissions, consacrées chacune à une thématique spécifique : problèmes des apprentis et des jeunes adolescents, logement et salubrité, loisirs, protection sanitaire et lutte antituberculeuse[11]. Ces travaux sont mis en commun l’après-midi, lors d’une session plénière réunissant plus de 200 personnes. La lecture des rapports mis au point le matin ouvre d’importantes discussions, qui mobilisent différents experts comme les médecins Philippe Raoul-Duval (1904-1960) et Philippe Boyron (1911-2004), ainsi que la directrice départementale des services de santé, Mme Latil, également médecin. Les échanges aboutissent à la rédaction de vœux intéressant, plus ou moins concrètement, la santé physique et morale des jeunes ouvrières et ouvriers de l’agglomération, que l’assemblée est ensuite appelée à approuver.

Nous vous proposons ci-dessous la retranscription des vœux formulés au cours de cette journée d’études, ainsi que la lettre d’invitation adressée par la fédération JOC au maire de Saint-Étienne. Leur lecture permet de mieux cerner les enjeux posés par le double contexte d’une ville ouvrière marquée non seulement par les privations de guerre et les destructions entraînées par le bombardement allié du 26 mai 1944, mais surtout par l’insuffisance autant quantitative que qualitative de l’offre de logements et d’équipements sanitaires et sociaux au sein de la commune[12]. Elle révèle aussi les conceptions morales de la jeunesse ouvrière chrétienne vis-à-vis de la vie quotidienne et des loisirs. Par contre, les revendications laissent de côté les enjeux inhérents à l’activité professionnelle proprement dite, à l’exception de l’enjeu des transports.

 

Antoine VERNET

 

Documents du dossier « JOC, vœux de la journée du 27 janvier 1946, Campagne sur la santé », Archives municipales de Saint-Étienne, 2 I 46.

 

  • Document n°1 : lettre du président fédéral de la fédération de Saint-Étienne de la JOC (6, rue d’Arcole) Lucien Égaud au maire de Saint-Étienne, 26 décembre 1945.

 

Archives municipales de Saint-Étienne, 2 I 46, lettre du président fédéral de la fédération de Saint-Étienne de la JOC Lucien Égaud au maire de Saint-Étienne, 26 décembre 1945

 

Monsieur le Maire

Vous n’êtes pas sans connaître l’état lamentable et tragique de la santé du peuple de France, et, plus particulièrement, parce que plus délaissée elle a plus souffert de celle de la Jeunesse Ouvrière.

Le problème est grave, il mérite qu’on le considère dans toute sa tragique réalité.

La J.O.C. toujours soucieuse des jeunes du milieu populaire a vu l’angoissante situation. Aussi a-t-elle déclenché sur tout le pays une grande enquête-campagne en faveur de la santé des jeunes ouvriers et ouvrières.

Le DIMANCHE 27 JANVIER 1946 elle organise dans les locaux du Foyer populaire de Valbenoîte une grande journée de la santé réunissant militants et militantes.

Le comité fédéral de St-Étienne serait très heureux que vous participez, à la séance plénière de cette journée qui se tiendra à 14 heures 30.

Connaissant tout l’intérêt que vous portez à notre action et à nos travaux, nous pensons bien pouvoir compter sur votre présence, aussi avons-nous cru bon de vous présenter notre invitation longtemps à l’avance afin que vous puissiez retenir cette date parmi vos multiples et importantes occupations.

Nous vous serions très reconnaissants et vous nous obligeriez en nous faisant connaître votre acceptation, en votre absence nous aimerions pouvoir compter sur la participation d’un de vos représentants.

En vous remerciant par avance, nous vous prions de croire, Monsieur le Maire, avec nos meilleurs sentiments, l’assurance de tout dévouement à la cause ouvrière et française.

[Mention marginale 1 : D’accord répondre sera représenté Bergeret]

[Mention marginale 2 : M. le Maire demande à M. Bergeret de vouloir bien le représenter]

 

  • Document n°2 :

VŒUX

Après avoir constaté les conditions de logement, d’hygiène et de transport, dans lesquelles vit la population laborieuse de notre ville, les militantes et militants jocistes, réunis à St-Étienne le 27 janvier 1946, agissant en pleine connaissance des difficultés techniques et économiques que pose l’administration d’une importante agglomération, mais soucieux de l’épanouissement complet des jeunes du milieu populaire seraient heureux :

1° – De voir mener une lutte implacable contre le taudis par :

  • La mise en application sur une grande échelle du plan d’urbanisme et de reconstruction, en tenant compte des besoins et des désirs des familles ouvrières et en liaison avec les organisations ouvrières compétences.
  • Un contrôle entraînant une action du bureau d’hygiène sur la salubrité des maisons et des logements. Mesure qui devra être accomplie avec tact et savoir-faire, pour ne pas porter atteinte à l’intimité de nos foyers ouvriers par des interventions indiscrètes ou indélicates.
  • La mise en chantier des travaux ayant pour but la création de « tout à l’égout », dans les quartiers qui en sont démunis et plus particulièrement : Côte-Chaude, Villeboeuf-le-Haut, rue Preynat, rue Franklin, rue Palluat-de-Besset, etc…
  • Ne pourrait-on pas envisager un nettoyage plus fréquent des rues et un enlèvement plus régulier des immondices, surtout dans les quartiers éloignés du centre qui semblent particulièrement négligés.

2° – De voir se poursuivre d’une façon accélérée, les travaux d’aménagement et d’assainissement de l’adduction d’eau.

3° – Que dans le Comité de logement institué dans notre ville, une juste place soit faite aux organisations des jeunes travailleurs, ceux-ci étant les principaux intéressés pour l’avenir du pays.

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DOUCHES

Constatant l’insuffisance des établissements municipaux de douches et les besoins d’hygiène des jeunes Stéphanois, les militantes et militants jocistes demandent respectueusement, mais avec énergie :

  • Que des établissements municipaux de douches soient ouverts rapidement dans les quartiers de Côte-Chaude, St-François, Montaud, Centre.
  • Que ceux-ci et ceux déjà existants soient aménagés de façon à donner toutes garanties d’hygiène.

TRANSPORTS

Constatant les besoins des travailleurs pour se rendre à leur travail et les difficultés qu’ils rencontrent au point de vue transport :

Ne serait-il pas possible d’envisager un renforcement du service sur toutes les lignes aux heures d’affluence, ainsi que des services plus matinaux et plus tardifs sur les lignes de Côte-Chaude Terrenoire et Firminy.

 

Archives municipales de Saint-Étienne, 2 I 46, extrait des vœux émis par la fédération JOC de Saint-Étienne à l’issue de la journée d’études du 27 janvier 1946

 

  • Document n°3 :

VŒUX

Après avoir constaté les répercussions sur la santé morale et physique de la Jeunesse, des loisirs qui lui sont offerts, les militantes et militants jocistes proposent :

BALS. – Voir projet de règlementation ci-joint.

CINÉMA. – Le cinéma étant l’un des principaux moyens de formation artistique et intellectuel des travailleurs, les Pouvoirs responsables ne pourraient-ils pas intervenir, pour que les films qui doivent être projetés dans le public visent cette formation.

Ne faudrait-il pas prévoir aussi la suppression des séances permanentes ? offrant aussi la possibilité d’aérer d’une façon complète la salle entre deux représentations.

PISCINES. – Devant l’absence totale de piscines dans notre ville la population serait heureuse de pouvoir utiliser cette année la piscine de GROUCHY. Les Pouvoirs Publics peuvent-ils prendre toutes mesures à cet effet ?

STADES. – Il existe à St-ÉTIENNE plusieurs terrains de sport. Mais la presque totalité de ceux-ci sont dans un état lamentable. Ne serait-il pas possible de prévoir à bref délai leur réfection ?

En ce qui concerne les installations sportives de notre ville, plusieurs projets de piscines et terrains de sports sont à l’étude. Nous pensons qu’il faudrait en activer la réalisation.

CAFÉS. – Plusieurs lois sont en vigueur, règlementant le service des boissons. Cependant, la grande majorité des débitants et de la population semble ignorer ces lois. Ne faudrait-il pas les remettre en valeur ?

 

  • Document n°4 :

PROJETS CONCERNANT LA RÈGLEMENTATION DES BALS

Constatant les méfaits effets des bals, soirées dansantes sur les jeunes au point de vue santé, amolissement, immoralité, baisse de production, conséquences pour les foyers de demain, etc…

Estimant d’autre part, qu’une grande partie de ces effets seraient supprimés si certaines conditions étaient respectées.

Les militantes et militants jocistes de St-Étienne réunis en journée d’étude demandent que soit instituée par M. le Préfet de la Loire et les maires des différentes communes du département une règlementation des bals qui pourrait revêtir la forme suivante : Cette règlementation n’intéresse pas les bals de famille, à l’occasion de fêtes (mariages, fiançailles, etc.) ni les bals de fêtes populaires se faisant sur la voie publique.

1° – Création sur le plan départemental ou municipal d’une Commission des loisirs qui comprendrait : des représentants de la municipalité, du bureau d’hygiène, de la Ligue de moralité, des Mouvements familiaux et des Mouvements de Jeunesse, des médecins et de tout organisme intéressé par le problème des loisirs.

2° – Tout propriétaire ou gérant d’une salle où l’on danse (dancing, salle de danse, café, plage) devra être possesseur d’une licence délivrée par son syndicat et sa Chambre de Commerce, après avis de la Commission des loisirs. La Commission des loisirs donnera un avis favorable si certaines conditions d’hygiène, de salubrité, d’aération et d’éclairage de la salle, ainsi que la moralité du gérant, sont reconnus satisfaisants.

3° – Quiconque voudra organiser un bal (personnes, sociétés, groupements) devra en demander l’autorisation au moins 15 jours avant la date fixée à la Commission des loisirs, afin d’être muni de cette autorisation avant le début du bal.

4° – L’âge d’admission dans les bals, matinées ou soirées dansantes, est fixé à 17 ans.

5° – La fermeture obligatoire des bals et soirées dansantes est fixée à 23 h. Une prolongation exceptionnelle ne pourra être donnée que dans des cas bien particuliers et après avis favorable de la Commission des loisirs.

6° – Toute salle de danse devra avoir un éclairage suffisant et constant. Toutes pièces à proximité immédiate et contigüe de la salle de danse seront soumises au même éclairage. La salle de danse devra comporter un minimum d’hygiène et de salubrité (aération, nombre de personnes à admettre par rapport à la grandeur de la salle).

7° – Interdiction de servir des boissons alcoolisées.

8° – Toute personne en état d’ébriété ou dans une tenue vestimentaire incorrecte ou légère (caleçons de bains par exemple) devra être refusée ou expulsée de tout lieu où l’on danse.

9° – Le contrôle de cette règlementation sera assurée par la police ou la gendarmerie et, par les personnes assermentées nommées par la Commission des loisirs.

10° – Les propriétaires ou gérants des salles de danse, de tout lieu où l’on danse, et les organisateurs de matinées, soirées dansantes ou bals, sont responsables d’une façon générale de toute la règlementation ci-dessus. Des sanctions devront être appliquées aux contrevenants.

 

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 8212, cliché de Léon Leponce, pavillon de l’hôpital de Bellevue, années 1950

 

  • Document n°5 :

VŒUX

Les rapports et faits fournis au cours de la journée d’étude du 27 janvier par les militantes et militants jocistes, à la suite d’enquêtes menées dans tous les milieux de vie, des visites effectuées à domicile, dans les salles de sanas ou d’hôpitaux, nous ont permis de rendre parfaitement compte de la maladie qui frappe de plus en plus les milieux populaires et des conditions morales et matérielles de certains malades.

Devant cet état de faits, nous émettons aux représentants des Pouvoirs Publics et services intéressés, les suggestions suivantes, que nous leur demandons de bien vouloir prendre en considération et faire aboutir :

A) TUTELLE SANITAIRE

a) Qu’une inspection médicale scolaire sérieuse s’adresse à tous les enfants et s’étende dans toutes les villes du département. Que les enfants bénéficient entre autre de l’examen de la cuti-réaction pour déceler la tuberculose.

b) Que soit mis en application l’ordonnance du 16 décembre 1942 portant création d’un carnet individuel de santé remis par le maire de la commune au moment de la naissance de l’enfant. Ce carnet doit rester la propriété exclusive de l’enfant et permettre au médecin de pouvoir suivre le malade.

B) HÔPITAUX

Bellevue

a) Qu’une amélioration soit apportée dans la préparation de la nourriture aux Pavillons : 2 – 6.AB – 8 CD – 10 – 12 et typhiques. Une nourriture plus adaptée au régime qu’impose une maladie d’estomac et d’intestins au Pavillon 5. Une suralimentation au Pavillon 12 (Tuberculeux).

b) Qu’une amélioration soit apportée au point de vue propreté et hygiène aux pavillons 2 – 10 et 18 (enfants) et typhiques.

c) La création d’une bibliothèque dans chaque pavillon.

d) Qu’un nombre suffisant d’ambulances soit mis à la disposition du public (deux ambulances pour une ville de 200.000 habitants sont nettement insuffisantes).

e) Que le nom du médecin ou mieux des médecins de service qui assure la garde le dimanche et les jours fériés soit inséré chaque semaine dans la presse.

C) LUTTE ANTITUBERCULEUSE

1°- Mise en application de l’ordonnance ministérielle du 31 octobre 1945, relative à l’organisation et au fonctionnement de la lutte antituberculeuse, afin que soit réalisé dans les faits, les réformes préconisées dans les textes et notamment sur le plan départemental.

a) Le développement des dispensaires. – assurant le dépistage de la maladie, orientant les malades selon les cas, sur les différents établissements de cure : sanatorium et préventorium.

b) La création d’une centre de Phisiologie et d’un Pavillon sanatorial à l’Hôpital de Bellevue afin de permettre le traitement rapide des malades qui ne peuvent être admis tout de suite au sanatorium.

c) Création d’un sanatorium.

d) La création de nouveaux aériums destinés aux enfants exposés à la tuberculose mais qui ne relèvent pas du préventorium.

2°- Que le placement des malades au sana s’effectue d’une manière plus rapide. Le retard apporté dans ce placement résulte parfois moins de l’insuffisance des disponibilités sanatoriales elles-mêmes que de la lenteur des services administratifs.

3°- Qu’on mette un terme à ces errements qui consistent à d’assurer avant de mettre un malade en sana, qu’il n’a pu assurer lui-même les frais de son séjour, qu’une collectivité vienne à la prendre intégralement ou au moins partiellement à sa charge. Le placement doit être assuré d’abord, les formalités effectuées ensuite.

4°- Que dans la création du « Comité antituberculeux d’entr’aide et d’éducation sanitaire » prévu dans l’ordonnance ministérielle et qui doit être provoquée par le Préfet, une juste place soit faite aux associations de malades et aux organisations qui en ont le souci.

D) VIE EN SANA

a) Que les malades soient traités comme des personnes humaines, en leur permettant de jouir de toutes leurs libertés et non comme il se fait dans certains sanas, en numéros d’ordre ou en indigents.

b) Que la nourriture soit parfois plus « abondante » et souvent « mieux préparée » et plus variée.

c) Que les loisirs soient organisés (création de bibliothèque, jeux, menus travaux, etc…) qui permettent aux malades de trouver à la fois une saine détente et un moyen de culture.

d) Que les jeunes malades puissent avoir, comme ils le désirent, leur délégué qui soit leur porte-parole.

e) Que la gratuité des transports soit assurée aux malades partant en permission dans leur famille.

– Qu’une réduction soit effectuée pour les familles en visite.

f) Que la franchise postale soit instituée pour les malades en sana.

– Que les jeunes malades puissent bénéficier jusqu’à 25 ans de la carte J.3.

– Que les suppléments de viande, sucre et lait qui doivent leur être accordés le soient toujours réellement et sans restriction.

E) SITUATION SOCIALE DES MALADES

a) La création d’établissements de « Post-Cure » qui seront un stade intermédiaire entre le long repos du sana et l’atmosphère de la vie courante. Ils éviteront la « rechute » et permettront aux malades de se rééduquer à l’effort.

b) Nous accueillons avec joie dans la nouvelle ordonnance sur la « sécurité sociale » le paragraphe instituant une assurance longue maladie. À partir du 1er janvier 1946, en effet, le travailleur malade s’il est admis à l’examen, pourra se faire couvrir de la totalité des frais de toute nature engagés pour sa guérison par la caisse d’A.S. De plus, il lui sera versé une allocation mensuelle égale au demi salaires.

Nous regrettons, toutefois, que la durée de l’assurance soit prévue durant trois ans, alors qu’elle est fixée à cinq ans pour la pension d’invalidité. Nos camarades tuberculeux ne peuvent en trois ans se soigner, se guérir et se reclasser.

F) RAPATRIÉS

Nous attirons l’attention des Pouvoirs Publics, sur le fait que beaucoup de rapatriés tuberculeux ou en passe de le devenir, attendent depuis des mois leur départ en sana ou prévent. Pour le département de la Loire, une trentaine sont dans ce cas ; une cinquantaine d’autres nécessitent des mesures de prévention qui ne leur sont pas données faute de moyens.

Nous demandons :

1°- Qu’un gros effort soit effectué sur le plan national pour faire activer la construction de nouveaux sanas ou prévents nécessaires.

2°- Que les moyens nécessaires soient employés, sur le plan départemental, pour faire passer au plus vite et à tous les rapatriés la 2e visite médicale proscrite par l’ordonnance du 20 Avril 1945 dans les 4 à 7 mois qui suivent le rapatriement. C’est ainsi que tous les travailleurs déportés n’ont pas encore bénéficié de cette mesure. Nous pensons qu’il est inutile de rappeler l’importance de cette dernière, capable de déceler les nombreux foyers de tuberculose parmi les travailleurs déportés en Allemagne, dont près de 400.000 sont des jeunes de 18 à 25 ans et constituent un élément important de la communauté française.

3°- Que le bénéfice de cette ordonnance soit étendue aux travailleurs évadés d’Allemagne ainsi qu’aux permissionnaires réfractaires.

4°- Que l’aide médicale temporaire, instituée par l’ordonnance du 26 Mai 1945, en faveur des travailleurs prisonniers et déportés pendant les 6 à 9 mois qui suivent leur rapatriement, soit prolongée pour tous ceux qui ne bénéficient pas du régime des A.S., du fait de leur incapacité de travail, résultant d’une maladie contractée en Allemagne.

5°- Que les rapatriés tuberculeux puissent bénéficier de l’assurance longue maladie instituée à partir du 1er janvier 1946 au même titre que les Assurés sociaux.

 

Archives municipales de Saint-Étienne, 2 Fi ICONO/106 – Saint-Étienne, vue sur Bellevue et Solaure, 1955. Le groupe sanatorium se trouve au 1er plan, à la gauche de l’hôpital de Bellevue.

 

Notes :

[1] Sur l’histoire de la JOC et de la JOC-F, en particulier au cours des années 1940 : Pierre Pierrard, Michel Launay et Rolande Trempé, La JOC, regards d’historiens, Paris, Éditions ouvrières, 1984 ; Pierre Pierrard, L’Église et les ouvriers en France. 1940-1990, Paris, Hachette, 1991 ; Bernard Giroux (dir.), Voir, juger, agir. Action catholique, jeunesse et éducation populaire (1945-1979), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.

[2] Éric Bélouet, « PRIGENT Robert, Paul, Albert », Dictionnaire biographique mouvement ouvrier mouvement social Le Maitron [en ligne], 2021. L’ancien militant jociste a également été commissaire général à la Famille d’août 1944 à février 1945. Sur son action politique, cf. Bruno Béthouart, Des syndicalistes chrétiens en politique (1944-1962). De la Libération à la Ve République, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, 323 p. ; Bruno Valat, Histoire de la Sécurité sociale (1945-1967). L’État, l’institution et la santé, Paris, Economica, 2001, XII-544 p.

[3] Cf. Joceline Chabot, « Soigner sa santé. La Jeunesse ouvrière chrétienne comme intermédiaire culturel sur la question de la santé de la jeunesse ouvrière en France (1942-1965) », dans eadem, Daniel Hickey et Martin Pâquet (dir.), Autour de la médicalisation. Perspectives historiques, pratiques et représentations (XVe-XXe siècles), Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, p. 131-148, et Armelle Benezit-Viaris, La JOC/F et la santé des jeunes travailleurs. Une action humaniste et militante (1928-1950), mémoire de master 2, Université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines, 2010.

Afin de déterminer une chronologie plus précise, il serait nécessaire de compiler une riche documentation. Les archives nationales de la JOC et de la JOC-F sont conservées aux Archives départementales des Hauts-de-Seine, respectivement sous les cotations 44 J et 45 J. D’autres fonds complètent cette documentation (46 J Collection d’imprimés déposés par la JOC, 56 J Papiers de Jeanne Picard-Aubert, fondatrice et secrétaire générale de la JOC-F jusqu’en 1939).
Un fonds de la fédération départementale JOC est déposé aux Archives départementales de la Loire (113 J). Le service, qui a reçu récemment un versement provenant de la Mission ouvrière de Saint-Étienne, détient également les papiers de Marcel Montcel (168 J), non classés. Montcel quitte la JOC après son mariage en 1943 (Jean Nizey, « MONTCEL, Marcel », Dictionnaire biographique mouvement ouvrier mouvement social Le Maitron [en ligne], 2015).
Les archives de la Mission ouvrière de Lyon, situées à Villeurbanne, possèdent un carton dédié à la province JOC de la région lyonnaise. Les archives de recherche réunies par Jean Nizey se trouvent, avec d’autres fonds issus du diocèse, dans les locaux de l’évêché de Saint-Étienne.

[4] Cf. Jean Nizey, « Naissance et développement de la JOC à Saint-Étienne (1930-1940) », dans Gérard Cholvy (dir.), Mouvements de jeunesse chrétiens et juifs : sociabilité juvénile dans un cadre européen, 1799-1968, Paris, Le Cerf, 1985, p. 233-246. Le constat est similaire pour le MPF : idem, « Naissance et développement du Mouvement populaire des familles à Saint-Étienne », dans Denis Peschanski et Jean-Louis Robert (dir.), Les ouvriers en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Institut d’histoire du temps présent, 1992, p. 381-389 ; ibidem, « La vie du MPF dans la région stéphanoise aux lendemains de la guerre », Les Cahiers du GRMF, n°1, 1983, p. 123-133.

[5] Sur cette institution fondée à l’initiative de militants masculins de la CFTC et de la JOC dans un quartier excentré de la ville de Saint-Étienne : Jean Nizey, Les débuts de la JOC sur le quartier de Valbenoîte à Saint-Étienne dans les années 30, rapport non publié, 1982, 32 p. ; Paul Maguin, « Le Foyer populaire de Valbenoîte (1933-2006) », Saint-Étienne Histoire & mémoire, n°249, 2013, p. 28-48.

[6] Lucien Égaud est un ancien élève de l’École professionnelle libre Sainte-Barbe (promotion 1942). En parallèle d’une carrière de journaliste, il deviendra l’un des administrateurs du Secrétariat social de la Loire (Archives départementale de la Loire, 2047 W 39).

[7] Cet ancien chirurgien, nommé conseiller municipal par le comité départemental de Libération (CDL), est élu maire au cours de la séance du 24 août 1944. Lors du premier tour des élections municipales du 29 avril 1945, il mène une liste dite « de démocratie socialiste et laïque et de libération nationale », associant des membres issus de la SFIO et du Mouvement de libération nationale (MLN). Lors du second tour, organisé le 13 mai suivant, il est à la tête d’une liste d’alliance entre le MLN, la SFIO, le MRP et des radicaux-socialistes, cherchant à contenir l’influence du Parti communiste. Il conserve son fauteuil de maire jusqu’en octobre 1947.
Cf. Jean-Michel Steiner, Métallos, mineurs, manuchards… Ouvriers et communistes à Saint-Étienne (1944-1958), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2014, 439 p. ; idem et Gérard Michel Thermeau, Les maires de la « grande ville ouvrière ». Une autre histoire de Saint-Étienne (1778-2014), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2015, p. 153-156.

[8] Cet ingénieur du génie civil, cadre à la SNCF, est un ancien militant de la CFTC et du Parti démocrate populaire. Engagé dans la Résistance dans le groupe local de Témoignage chrétien – notamment avec son fils Jean (1923-2016) –, il est désigné conseiller municipal provisoire par le CDL, puis élu adjoint au maire en août 1944. Présent en quatrième position sur la liste MRP au premier tour des élections municipales d’avril-mai 1945, il demeure au même rang sur la liste d’alliance menée par H. Muller au second tour. Il est également élu conseiller général du canton Saint-Étienne Sud-Ouest lors du scrutin organisé les 23 et 30 septembre 1945.
Cf. Jean Simon et Jean Becarud (dir.), Dictionnaire des parlementaires français : notices biographiques sur les parlementaires français de 1940 à 1958, tome 2, « B », Paris, La Documentation française, 1992 ; André Caudron, « BERGERET Henri [BERGERET Jules, Henri] », Dictionnaire biographique mouvement ouvrier mouvement social Le Maitron [en ligne], 2008.

[9] Sur ces institutions inspirées par un modèle lyonnais : Olivier Chatelan, « Un catholicisme social omniprésent mais peu connu : les secrétariats sociaux en France, des origines aux années 1960 », Recherche sociale, n°219, 2016, p. 24-40. Sur le Secrétariat social de la Loire : Paul Maguin, Construction et mutations d’un réseau militant – Les Centres sociaux de la Loire 1921-1971, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, collection Université de la Vie Associative, 2009, 178 p.

[10] « L’activité de la J.O.C. Une importante session en faveur de la santé ouvrière », L’Éveil de la Loire, 3 février 1946. L’ancien leader syndicaliste (CFTC) et résistant (Combat) Jean Pralong s’est présenté aux élections municipales d’avril-mai 1945 sur la liste commune républicaine, antifasciste et laïque présentée sous l’égide du Front national, mouvement d’union issu de la Résistance, mais en réalité dominé par le Parti communiste. Cf. Claude Cherrier, « PRALONG Jean-Joseph », Dictionnaire biographique mouvement ouvrier mouvement social Le Maitron [en ligne], 2016.
Marie-Pauline Roure s’est également engagée dans la Résistance civile. L’évêque auxiliaire Bornet, fidèle au régime dirigé par Philippe Pétain, a protesté publiquement contre l’arrestation par l’occupant de l’abbé Robert Ploton (1901-1975), résistant au sein du réseau Combat, en octobre 1943.

[11] La tuberculose, considérée alors par les élites et les pouvoirs publics comme un problème social autant que médical, demeure un enjeu majeur à la sortie de la guerre, amplifié par les destructions et les pénuries. L’engagement de l’État, initié à partir de la Première Guerre mondiale, s’approfondit à l’occasion des ordonnances des 15 et 31 octobre 1945. Cette réponse politique bénéficie également des progrès réalisés dans le traitement antibiotique de la maladie. Cf. Pierre Guillaume, Les tuberculeux, du désespoir au salut, XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 1986, ainsi que les travaux en cours de Kylian Godde.

[12] Cf. Rémy Annino, Des idées et des hommes au service de la ville, Saint-Étienne janvier 1948-décembre 1964, les municipalités d’Alexandre de Fraissinette, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Saint-Étienne, 1990, p. 31-137 ; Jean Cellier, Le logement à Saint-Étienne, thèse de doctorat de droit, Université de Grenoble, 1949, 296 p. + annexes, cartes et tableaux ; André Vant, Imagerie et urbanisation : recherches sur l’exemple stéphanois, Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1981, 661 p.

À l’échelle nationale, la campagne menée par la JOC en 1946 aboutit notamment à la fondation de maisons de convalescence et de repos, principalement destinées aux soldats blessés et aux anciens déportés du travail.

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